Fils d’architecte, Ricardo Bofill (1939-2022) suit la voie de son père en étudiant d’abord à Barcelone puis à Genève. Après de nombreuses collaborations, il fonde en 1963 RBTA (Ricardo Bofill Taller de Architectura). Situé dans une ancienne cimenterie surnommée « La Fabrica » (photos en fin d’article), ce studio positionne d’emblée son action sur l’interdisciplinarité et collabore avec des artistes, des designers, des sociologues… IDEAT décrypte soixante ans de carrière de Ricardo Bofill à travers trois périodes aux styles architecturaux bien différents.
1/ Des années 60 et 70, des débuts marqués par le régionalisme
Attaché à la culture de sa région et à sa ville natale, Barcelone, Ricardo Bofill dessine au début de sa carrière nombre de résidences et bâtiments à usage mixte qui conservent les traditions ainsi que le savoir-faire artisanal et architectural catalan. Il voue également un grand intérêt à la planification urbaine locale et met en place au début des années 70, une méthodologie basée sur « la formation géométrique d’éléments dans l’espace, développée de manière théorique. »
The City in Space (1970) à Madrid est au centre de cette démarche. Selon RBTA, ce projet représente la « ville du futur », un ensemble de logements qui forme un quartier multifonctionnel. Des volumes cubiques se combinent dans une esthétique complexe, avec comme éléments clés la flexibilité et la modularité.
Le bâtiment Walden 7 (1975) – nom tiré du chef-d’œuvre de Henry David Thoreau – est l’incarnation du concept « The City in Space ». Implanté sur une ancienne cimenterie à Saint Just Desvern, au sud de Barcelone, la résidence se compose d’une multitude de logements en « nid d’abeille ». Chaque « cellule » de 30 m² est conçue pour une personne afin de garantir l’espace nécessaire à la vie, défini par RBTA. Ces unités peuvent fusionner pour accueillir des familles. Plus qu’un concept qui prône l’appropriation, c’est une expérimentation utopiste de vie en communauté que matérialise le studio. Pensé comme une ruche, Walden 7 s’oppose à l’idée conventionnelle de la vie privée.
Aujourd’hui, la question de la taille des logements est au centre des préoccupations des architectes, avec le coliving qui redéfinit les espaces partagés. Précurseur, le projet Walden 7 évoquait déjà cet usage commun des balcons, terrasses, rues internes… RBTA affirmait notamment que « les normes de logement d’aujourd’hui exigent des espaces confortables qui devraient accueillir des personnes aux modes de vie différents ».
Années 70, le post-modernisme de Ricardo Bofill conquiert la France
La Catalogne a toujours été une zone de transit et d’échanges culturels intenses. Quand la Société des Autoroutes du Sud-Est de la France fait appel à Ricardo Bofill en 1976 pour concevoir un édifice qui symbolise la frontière entre les deux pays, le studio part d’un principe simple : ne pas déplacer le remblai édifié pour la construction de la voirie et placer à son sommet une pyramide. L’ensemble humanise la longue bande routière, s’intègre dans le paysage des Pyrénées orientales et reprend les fausses perspectives d’un jardin à la française classique en s’associant aux constructions typiques de la Catalogne.
La réputation de Ricardo Bofill dépasse alors depuis longtemps les frontières de sa Catalogne natale. RBTA a en effet ouvert dès 1971 un nouveau studio pour répondre aux nombreuses demandes qui s’inscrivent dans la politique de Villes Nouvelles que le gouvernement français a initiée pour la périphérie de Paris. Son objectif : promouvoir une croissance urbaine ordonnée en périphérie. C’est avec le projet « Les Arcs du Lac, Le Viaduc » à Saint-Quentin-en-Yvelines (1982) que Bofill débute sa carrière en France. Il poursuit à Noisy-le-Grand, avec Les Espaces d’Abraxas (1982), un complexe constitué du Palacio, du Théâtre et de L’Arc et encore Les Echelles du Baroque – Paris XIVe (1986), place de la Catalogne. Les trois bâtiments s’insèrent dans un espace baroque qui encadre des vues sur la ville. Ces références à l’architecture classique, ancrées dans la culture française, façonnent l’identité de ce complexe emblématique du courant post-moderne.
Hhors de Paris, c’est à Montpellier, sur un terrain de 36 hectares baptisé Antigone (1999), que Ricardo Bofill réalisa l’un de ses plus grands projets urbains. Ce nouveau quartier éminemment méditerranéen reprend la typologie est-ouest de la ville et il est conçu comme une épine dorsale qui permet le séquençage de différents espaces urbains.
Des années 90 à aujourd’hui , le verre est roi !
A partir des années 1990, le passage au verre et à l’acier marque un tournant majeur dans l’œuvre de Ricardo Bofill. La transition du post-modernisme tout-béton vers cette architecture de miroirs et de réflexions s’effectue par paliers : de la tour 77 West Wacker Drive (1992) à Chicago à l’hôtel W (2009), devenu l’icône immanquable de la skyline barcelonaise.
En France, c’est le siège de la BNP Paribas qui marque les esprits par son post-modernisme de plus en plus subtil. Sur la place du Marché Saint-Honoré, un ancien parking à plusieurs étages a laissé place à un bâtiment transparent de cinq étages abritant des bureaux, des magasins, un parking en sous-sol et une caserne de pompiers. Une rue interne préserve l’axe urbain et la structure classique est contrebalancée par la modernité du verre. La juxtaposition d’archétypes urbanistiques – le temple, le marché, la rue et la place – se fait avec une liberté de mouvement permise par le verre.
Quand on examine la carrière de Ricardo Bofill, un fil conducteur évident relie ses bâtiments. C’est parce que ses constructions peuvent à la fois se démarquer du paysage environnant et s’y insérer parfaitement pour répondre aux besoins territoriaux, que Ricardo Bofill fait partie de ces architectes emblématiques et intemporels qui marqueront l’histoire de leur discipline.
> En photo de couverture, La Muralla Roja, Partida Manzanera, 3, 03710 Calp, Alicante, Espagne, 1973.