Il jouxte le Toyota Municipal Museum of Art de son confrère Yoshio Taniguchi, achevé en 1995 : le Toyota City Museum, inauguré en octobre dernier dans la ville industrielle japonaise du même nom, est la dernière réalisation en date de Shigeru Ban. L’occasion de s’entretenir avec l’architecte nippon.
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Une architecture humanitaire
Cette institution culturelle se distingue notamment par sa structure en cèdre local et son toit de 90 mètres de long posé sur des colonnes de bois. Des matériaux organiques, qui confère au Toyota City Museum la certification Net Zero Energy Building Ready, une première au pays du Soleil Levant, témoignant ainsi de son exemplarité en matière environnementale. On y reconnait encore la patte de Shigeru Ban dans la capacité qu’a le musée à considérer les situations de catastrophes naturelles, à travers un présentoir situé au centre de l’espace d’exposition servant de noyau antisismique.

Car s’il se démarque de ses confrères, c’est bien pour ses travaux humanitaires. Le maître japonais est en effet habitué à ériger des abris d’urgence pour les populations en situation précaires. « Je crois que les architectes ont la responsabilité d’utiliser leur expertise pour aider ceux qui ont perdu leur maison à cause de catastrophes naturelles ou de guerres », fait-il savoir, rappelant qu’un abri est un besoin humain fondamental et balayant là toute considération le glorifiant.
Dénoncer le green washing
Ce Tokyoïte veut penser le monde différemment. Quand il fonde son agence en 1985, ses contributions questionnent les préceptes de base. L’utilisation de matériaux peu conventionnels et fragiles d’apparence, comme le bambou et les rouleaux de cartons, suscitent la perplexité de ses pairs. Mais selon lui, la durabilité d’un bâtiment est avant tout une affaire d’implication.

« Elle n’est pas seulement déterminée par ses matériaux, mais aussi par la valeur que les gens lui attribuent. L’architecture en papier, par exemple, peut durer indéfiniment si elle est chérie et entretenue par ceux qui interagissent avec elle », professe-t-il, presque par provocation.
Mais Shigeru Ban réfute l’idée de se considérer comme un pionnier. « J’ai toujours été attentif à éviter le gaspillage, ce qui conduit naturellement à des conceptions que les gens qualifient de ‘durables’. Cependant, cette approche n’a jamais été motivée par une focalisation délibérée, elle reflète simplement mes valeurs. »

À ce propos, il ne cache pas d’ailleurs un certain agacement. « Je pense que la durabilité est devenue un mot-clé superficiel utilisé par tous les architectes sans vraiment considérer sa profondeur ni ses implications. Dans de nombreux cas, c’est devenu un argument commercial et non une réflexion sur une qualité architecturale authentique. »
Shigeru Ban : « Je ne m’intéresse pas aux modes »
Minimaliste, il sait démontrer que la profondeur esthétique peut émaner de matières modestes, privilégiant surtout les proportions et la lumière pour révéler la nature d’un lieu. Ce fut le cas pour la Cathédrale de Carton à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, érigée en remplacement de l’édifice néogothique endommagé lors du séisme de 2011.

Shigeru Ban refuse ainsi l’existence de toute conception universelle de l’architecture, car selon lui, chaque bâtiment doit avant tout être pensé en harmonie avec son contexte. « Je ne me concentre pas principalement sur l’esthétique lorsque je conçois. L’essentiel est de créer une structure fonctionnelle, bien intégrée à son environnement et fidèle à sa finalité. À mon avis, l’esthétique émerge naturellement d’une conception réfléchie, et non d’une recherche isolée », dicte-il.
Toujours dans ce souci de singularité plus ou moins conscient, l’architecte de 67 ans écarte toute appartenance à un style ou à un courant de pensée. « Je ne dirais pas que je suis ouvert ou résistant aux tendances et aux modes, je ne m’y intéresse tout simplement pas », affirme-t-il, si soucieux du détail qu’il donne souvent l’impression d’être dans une forme de contradiction permanente, alors qu’il cherche au contraire à enrichir le propos toujours davantage.

Cependant, face à l’utilisation croissante de matériaux durables dans la construction, fait qu’il a initié il y a plusieurs décennies, le sage y reconnait un changement de paradigme qu’il ne peut qu’approuver. « Mon optimisme vient des jeunes générations d’architectes, qui, je crois, seront naturellement capables d’agir en faveur de l’environnement et semblent intégrer la durabilité comme une partie essentielle du design, contrairement aux générations précédentes, pour qui elle est une considération additionnelle. Cette évolution dans la profession repoussera probablement les limites, inspirant des conceptions à la fois résiliantes et profondément connectées à leur contexte. » Transcender les normes de l’architecture a, au fond, toujours été son leitmotiv.
Si bien qu’il est devenu un modèle pour ses pairs. Lauréat du Prix Pritzker en 2014, Shigeru Ban célèbre cette saison deux autres récompenses, le Praemium Imperiale, considéré comme le Prix Nobel des Arts, ainsi que le Prix Versailles. « Je suis fier de tout mon travail, reconnait-il. Chaque projet est une réflexion de mon exploration et de ma croissance continue en tant qu’architecte. » Une exploration dont la limite semble inexistante.

> Photo de Une : Mont Fuji Heritage Center. Shigerubanarchitects.com
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