La capitale belge est toujours aussi riche de potentiels. Ils se reflètent dans le visage d’actrices et d‘acteurs du design plus occupés à réaliser leurs projets qu’à les sur-médiatiser. Dans un monde recru d’informations se balayant l’une l’autre, modestie n’est pas vertu. Il faut donc parfois rappeler la singulière richesse du design en Belgique. Aujourd’hui, ledit design reste plus une pratique d’esprits indépendants que de designers réunis en mouvements. Leur indépendance, méritoire, explique peut-être qu’ils ne sont pas uniquement préoccupés d’édition industrielle, belge ou étrangère. Beaucoup pratiquent la création la plus intègre, avec l’artisanat au premier plan. Le développement durable semble aussi être bien plus qu’un thème dans l’air du temps. L’originalité et la sincérité sont au rendez-vous. Est-ce grâce aux écoles ? Les designers sont nombreux, exerçant pour certains leur pratique avec des passerelles vers l’art. Brussels Design September est aussi plus centré sur le design en Belgique que sur le seul design belge.
A-t-on davantage les pieds sur terre en Belgique ?
C’est en tous cas loin d’être une Design Week parmi d’autres. Elle met facilement en avant des créations nécessaires. A-t-on davantage les pieds sur terre en Belgique ? Rappelons comment en 2018 la manifestation Reciprocity Design Liège, initiée par la commissaire italienne Giovanna Massoni, incarnait cette création pragmatique. Son catalogue témoigne de la façon dont elle développait brillamment le thème pas du tout glamour de la fragilité, précédant justement la crise sanitaire à venir. Les expositions présentaient des projets servant des usagers, certains améliorés par les premiers concernés, des personnes handicapées par exemple. Si le thème était grave, la beauté était aussi au rendez-vous, comme à Brussels Design September.
Brussels Design September : suivez le guide
Premier arrêt à Silversquare Central, espace de coworking très atypique situé dans l’ex-siège de Shell. Ses 5700 m2 sont non seulement curatés mais surtout par Maniera, la référence belge en matière de design contemporain non aligné. La galeriste Amaryllis Jacobs a donné carte blanche à son carnet d’adresses, du studio d’architectes Doozon de Gand à celui du duo italo-belge Piovenefabi. Tous investissent deux étages de ce grand bâtiment mi art déco mi- moderniste. « Nous avons gardé de magnifiques éléments anciens, comme les sols en travertin et les murs circulaires » précise Amaryllis Jacobs. Lumière, couleur des textiles et confort concourent à éviter toute froideur typique d’encore trop de lieux de travail. Avec des tempéraments comme Christoph Hefti, designer textile venu de la mode et pas réputé pour son goût classique, les artistes Stéphane Barbier Bouvet et Richard Venlet pour le mobilier, tout pulse. Que des architectes connus en Belgique comme Jo Tailleu et le duo Jan de Vykder/ Inge Vinck cotoient ici le travail de studios émergents comme Studio Verter, en Belgique c’est normal. En fait, Silversquare récidive, avec déjà à son actif SQ Delta par le designer Lionel Jadot, SQ Bailli par KRJST, virtuoses du textile, ou bien son propre QG SQ Europe par Sébastien Caporusso, designer qui vient juste d’être sacré designer de l’Année.
Démarche encore moins cadrée, celle du curateur et collectionneur Jean-François Declercq. Initiateur du centre d’art Atelier Jespers dans son historique maison d’architecte, il organisait des expositions pointues. Lors de la Paris Design Week, il a été le catalyseur d’une flambée d’énergie créative dans dix-sept chambres du mythique hôtel La Louisiane à Saint-Germain des prés. Son carnet d’adresses de designers et de créateurs est aussi épais que surfin. Cette saison, il devient galeriste avec La Bocca della Verita, un lieu situé dans une maison bijou à la façade Art Nouveau, laquelle cache un bâtiment des années quatre-vingt-dix typé postmodernisme italien. Dans cette ancienne école de langues pour enfants bâtie par un certain Michel Poulain, Jean-François Declercq expose au premier étage le jeune designer français Thomas Huguet. Bien que formé à l’industriel, il navigue selon Jean-François Declercq « entre un travail minimal, assez classique, les nouvelles technologie et l’artisanat ». Au deuxième étage, le collectif d’architectes Stand van Zaken présente des tables en parpaings ou des abat- jour en cale pour roues des camions. « Ces luminaires, très inspirés du postmodernisme italien sont fait avec des éléments de construction. » commente Jean-François Declercq. Ensuite l’installation Rooming de Chloé Arrouy et Arnaud Eubelen, ce dernier, chineur de matériaux de rues pour en faire des lustres par exemple, annonce l’irruption décrit le galeriste d’un « living room entre ordre et léger chaos à la Mad Max ». En tous cas, la modernité s’y fait captive. Enfin, au dernier étage, tout est rose, les murs aussi bien que les bougie -totems de l’artiste Hélène Del Marmol. « Moi qui disais que je n’ouvrirai jamais de galerie, j’ai fini par le faire. Définir ce que je voulais y faire est venu après » conclut Jean-François Declercq. Après avoir investi du temps et de l’argent sans chercher à vendre, un autre chapitre s‘ouvre à lui. Trois expositions par an sont prévues dont une prochaine en janvier avec Margherita Ratti, curatrice italienne hors des clous.
La nouvelle garde du design se frotte aux étoiles
Bruxelles, c’est la ville des jeunes designers très affutés aussi bien dans ce qu’ils font, exposent et disent. Pas de ton incertain ni arrogant, plutôt du travail et de la précision. Alors que les projets sont ambitieux, sans que ce ne soit une dévorante faim en soi. En filant chez Duplex Studio, on découvre de jeunes architectes qui invitent trois jeunes designers à exposer chez eux des projets séduisants et concernés par les enjeux environnementaux. Styropfossil de Nicolas Zanoni, ce sont de belles microarchitectures en polystyrene expansé, ce qui ne suggère pas forcément leur impact décoratif certain. Imprécis de Mathieu Doucet est un projet comprenant O22, une lampe dont l’abat-jour évoque une maquette de chapelle corbuséenne en béton. GND01 de Clément Guirao fait découvrir la promesse du mobilier à base de mycelium de champignons. Un tabouret devient beau comme un objet en pierre mais on peut surtout en faire plusieurs à partir d’un petit bloc de matière ou réparer le meuble avec le même bloc de matière. Ce futur, c’est maintenant. Cutting Edge de Jane W. Right, montre tout le parti qu’on peut tirer de chutes de laine de mérinos, de soie ou de cashmere pour faire d’autres beaux objets. Quant aux architectes de Duplex Studio, ils ont émis un principe qui s’applique aux objets. Sans se couper de l’air du temps, surtout s’il reflète des enjeux actuels, ils veulent faire des choses singulières, apprend-t-on. En utilisant par exemple un élément de fabrication technique, sorte de profil en aluminium, ils l’ont courbé pour faire des étagères, une petite table ou un fauteuil. Ce projet Amai est ainsi fait à la main, de leurs mains.
Le Bruxelles du design et de la création est un monde aux reflets changeants. C’est le contraire d’un jeu des 7 familles de créateurs stéréotypés. Par exemple, planète totalement différente à l’atelier d’Isabelle de Borchgrave dont chaque centimètre carré de surface exsude la création. Volontiers étiquetée artiste du papier, elle sait que cela faire oublier à quel point elle crée sur une infinité de supports. Il est vrai qu’en papier, elle peut tout faire, aussi bien un imperméable plus vrai que nature, que d’étonnantes aquarelles peintes sur du papier plissé. Elle est aussi designer de mobilier en bronze, de tissus, de tapis et fait de la sculpture, de tout donc. Avant de la découvrir prochainement à Paris chez son ami Christian Tortu, la visite de son atelier suffit à rappeler que pour être une référence, elle n’en est pas moins en émulsion créative permanente.
Toujours dans la série des confirmés en fait pas sages, pas de passage à Bruxelles sans arrêt à la galerie Spazio Nobile, qui s’est agrandi d’un studiolo, juste en face de son entrée. Les galeristes et historiens d’art Lise Coirier et Gian Giuseppe Simeone ont quelque chose du rouleau compresseur impavide qui ratisse, embrasse et révèle large, tout en sélectionnant sans relâche pour mettre en valeur. Ils promeuvent une foule de talents internationaux avec une capacité à rendre dans leur galerie, l’esprit de chacun, présent, palpable. Ce n’est pas chez eux la première exposition du photographe Frederick Vercruysse mais ce solo show Windows fait découvrir de nouvelles photos, notamment de fenêtres, certaines serties dans des boites miroirs. Certaines oscillent entre abstraction et représentation du réel. Ces visions peuvent renvoyer à la peinture de Magritte ou à la mélancolie un peu languide des toiles d’Edward Hopper. Côté Studiolo, Tomas Libertiny nous touche avec Encres bleue, une revisitation personnelle du concept de paysage.
Après le temps arrêté de la pandémie, le Bruxelles de la création, bruisse comme jamais. Sorry we’re closed est une galerie d’art contemporain fondée en 2008 par Sébastien Janssen. Dirigée par Emilie Pischedda, elle vient de déménager. A sa nouvelle adresse du quartier des Sablons, on rédigeait autrefois le Code Civil. Le lieu a été fait pour impressionner, certaines portes ne s’ouvrent que pour donner sur le mur lui-même. Surréel! L’artiste allemand Roger Herman y expose des vases splendides, volumes, matière et couleurs. C’est un défilé immobile d’urnes flamboyantes. Exubérant. L’artiste protéiforme, (il dessine et peint aussi) a un jour craqué sur la céramique lors d’un atelier en Californie où il vit et enseigne à UCLA.
A la découverte de Bruxelles
Brussels Design September permet aussi de découvrir des lieux, comme l’Ancienne Nonciature, ex-résidence des ambassadeurs du Vatican en Belgique, restaurée, chapelle comprise, par l’architecte Anne Derasse. Avec la complicité de la galerie Spazio Nobile, dix artistes ont été réunis pour célébrer Le Sacre de la Matière. Anne Derasse, propriétaire, architecte, historienne de l’art et créatrice de surcroit est aussi la compagne de l’artiste et photographe Jörg Brauer. Les quatre, à la poursuite des arts, ont réuni autour d’eux, des talents aussi divers que ceux de Kaspar Hamacher, virtuose inspiré du bois ou de Bela Silva, spécialisée dans la céramique. Dans cette ambassade des arts, la banquette Victor Victoria en tressage de cuir de daim vert, réalisée par Nacarat est un autre hommage à la matière.
On retrouve l’atelier Nacarat et William Schambourg à Zaventem Ateliers, ou sous la houlette débonnaire du designer Lionel Jadot, un carrousel d’artistes et de créateurs sont installés dans une ancienne fabrique de papier, non loin de l’aéroport et pas du tout excentré. Plus on y revient plus on est médusé par l’esprit qui flotte dans l’endroit et qui démontre de façon magistrale la capacité de l’homme à s’adapter à l’environnement. Les baies vitrées des ateliers sont autant de pages illustrées qui excitent la curiosité du visiteur même quand les designers sont absents. Dans le grand hall, l’exposition Objetos de Resistancia du designer français basé à Guadalajara Fabien Cappello rappelait qu’au début, cet espace gigantesque était éclairé par des luminaires fait avec des caisses en bois japonaises servant à transporter porcelaine. La modestie et l’esthétique de ces objets du quotidien mexicain oscillait entre franche beauté graphique et parangon du génie humain, poussé ou non par la nécessité et surtout par l’utile. Pas de folklore, ni de condescendance, le visiteur plonge dans le monde de l’ingéniosité en plus d’une centaine d’objets. L’intérêt pour ce que l’on voit ne faiblit jamais à Zaventem, tapisseries de Krjst, luminaires de Studio Elementaire, bureaux insensés d’Alexandre Lowie ou textiles magiques d’Aurélie Lanoiselée. A l’image de Brussels Design September, ce n’est pas simplement que tout cela est sympathique mais c’est que surtout brillant et souvent, comme conscient des divers enjeux de 2021. Si on a Bruxelles au cœur, c’est celui d’une Europe sortant culturellement de son cadre.
> Brussels Design September, jusqu’au 30 septembre 2021 dans toute la ville. Informations.