Portrait : Édouard François, fer de lance de l'architecture végétale

Édouard François occupe une place à part dans le paysage architectural français. Honni ou adulé, il a le mérite de ne pas mâcher ses mots ni de craindre d’en faire trop. Son franc-parler est réjouissant, dans un milieu trop souvent corseté par la bienséance. Chantre de l’architecture végétale, il réalise des bâtiments iconoclastes qui, comme lui, ne laissent personne indifférent : L’Immeuble qui pousse à Montpellier, l’hôtel Fouquet’s Barrière et la Tower Flower à Paris… En 2012, il a rebaptisé son agence Maison Édouard François, une manière d’assumer avec le sourire le milieu aristocratique dont il est issu. Il y a dix-huit mois, il a quitté le XVe arrondissement pour le quartier de la Bastille, à quelques rues d’IDEAT. Lors de notre rencontre, nous avons parlé architecture mais aussi organisation du travail, lithothérapie et fleur de sel…

Contrairement à vos confrères, vous ne vous plaignez donc pas !
On ne se rend pas compte à quel point la balle est très sérieusement dans notre camp. Je ne comprends pas les architectes qui se plaignent tout le temps. Il suffit de regarder l’évolution de la démographie. Nous allons devoir produire des logements pour des millions de personnes d’ici moins de quinze ans. Donc, quand mes confrères ne font que pleurer, je leur dis qu’il y a du boulot pour tous. Le processus de métropolisation vaut dans le monde entier. Des millions de personnes quittent des villes moyennes pour rejoindre les métropoles : Paris, Lille, Nantes, Bordeaux, Lyon, Marseille… On affronte le phénomène des shrinking cities, ces villes moyennes en décroissance. Nous avons donc potentiellement beaucoup de travail aussi dans ces villes qui « rétrécissent » : qu’est-ce qu’on en fait ? Par rapport à ce phénomène massif, mon idée est qu’il faut bâtir la métropole avec la matérialité de la ville : la pierre.

Immeuble d’habitation Tower Flower, Paris XVIIe (2004).
Immeuble d’habitation Tower Flower, Paris XVIIe (2004). Édouard François

Vous n’allez donc plus construire qu’en pierre ?
Pourquoi pas. Je suis entré en sacerdoce avec les carrières. Je visite, je me renseigne, pour savoir quelles sont les normes… Aujourd’hui, j’ai plus de 150 000 m2 à construire en pierre. Je n’avais jamais utilisé ce matériau avant. Face à la métropolisation, je ne veux pas être l’acteur de la « banlieurisation » du système. Il faut affronter les problèmes. La matière est une notion très importante. Et ça ne me rebute pas de me dire que je ne vais plus construire qu’en pierre. On commence à découvrir des libertés incroyables, c’est fou tout ce qu’on peut faire avec.

Comme à la Samaritaine, où vous réalisez un palace Cheval Blanc dans le bâtiment d’Henri Sauvage ?
Nous y construisons effectivement la façade arrière en pierre massive. D’abord sculptée comme un retournement de la façade principale, elle est ensuite simplement esquissée pour finir dans un dessin inachevé. Dans les interstices de la roche, les arbres poussent, le minéral et le végétal fusionnent au rythme du temps. Les problématiques patrimoniales que nous abordons à la Samaritaine sont très intéressantes. Et nous sommes dans une situation de grand confort, une commande protégée financièrement et administrativement.

Immeuble de logements, crèche et commerces M6B2 tour de la biodiversité, Paris XIIIe (2016).
Immeuble de logements, crèche et commerces M6B2 tour de la biodiversité, Paris XIIIe (2016). Pierre L'Excellent

Parmi vos derniers projets livrés figure la tour de la biodiversité M6B2, dans le XIIIe arrondissement. Que pouvez-vous nous en dire ?
M6B2 est une tour culminant à 50 mètres, végétalisée à l’aide d’espèces issues de milieux sauvages, très robustes. Les arbres font déjà 2 mètres de haut mais la mairie trouve que ça ne pousse pas assez vite. Loin de l’exploit ou de la provocation, la hauteur permet ici de rejoindre une aspiration primordiale pour l’environnement urbain : la biodiversité. Et cela nécessite un peu de patience. En attendant, j’offre aux Parisiens la possibilité d’admirer une façade en titane massif ! Quand les arbres auront poussé, on ne la verra plus et la ville pourra revendre le titane pour en faire des prothèses de hanche ou des réacteurs aéronautiques. Il y en a 7 tonnes ! Mais, comme ils gèrent l’instant, ce n’est vraiment pas une histoire qu’ils peuvent entendre.