PMU remix : kitsch mais cool, une esthétique du réconfort

Banquettes en skaï, zinc patiné, néons, vieilles enseignes : l’esthétique des bar-tabac-PMU, ni tout à fait vintage, ni tout à fait moderne échappe aux modes. À Paris, certains d’entre eux - L’Etincelle, Le Zorba, Le Progrès, Le Maryland…- attirent toute une faune de bobos, branchés ou non, nostalgiques d’une époque qu’ils n’ont pas connue. Mais qu’est-ce qui peut bien rendre ces rades et bistrots du coin si séduisants ?

Ils évoquent un charme désuet qui fascine autant qu’il rassure et cela n’a pas échappé au Fooding, qui vient de sortir PMU, 100 bars qui font la France. Loin d’être un simple décor nostalgique, ils capturent un imaginaire collectif où se mêlent convivialité et simplicité. Dans une ère saturée de concepts surfaits, les codes visuels de ces bars restés dans leur jus jouent sur une forme de familiarité intemporelle. Comme le souligne Laure Gravier, de Claves Architecture, qui a imaginé le décor du Cornichon, un bar-restaurant-FDJ ouvert en fanfare cette année : « C’est un style à la fois identifiable et indéfinissable, qui traverse les époques tout en restant ancré dans la mémoire collective. »  Une quête d’authenticité et de chaleur, dans une France divisée, qui fait du bien.


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PMU : bien plus qu’un pari

Acronyme de « Pari Mutuel Urbain », le PMU est à l’origine un système de paris hippiques. Mais derrière ces trois lettres se cachent un lieu de brassage social profondément ancré dans la culture française. Ici, ouvriers et travailleurs matinaux, étudiants pressés, retraités tranquilles, télétravailleurs et noctambules se croisent sans manière.

Un bar PMU, dans le guide du fooding « PMU, 100 bars qui font la France ». © Marine Billet pour PMU et Édition le Fooding
Un bar PMU, dans le guide du fooding « PMU, 100 bars qui font la France ». © Marine Billet pour PMU et Édition le Fooding

« Ils incarnent un patrimoine vivant et sont des refuges de convivialité dans une époque où les repères se perdent », explique Emmanuelle Malceaze-Doublet, directrice générale de PMU. Pour le Fooding, qui a collaboré avec PMU pour réaliser ce guide, ces trois lettres pourraient être l’acronyme de « Proche Mixte et Utile ». Cœur battant d’une vie locale, souvent en perte de vitesse dans les zones rurales, ces bars-restaurants restent parfois les seuls endroits où l’on peut boire un coup, jouer, discuter et manger.

Mais il faut bien reconnaître que la qualité des assiettes ou encore l’ambiance un peu glauque pour certains n’attirent pas non plus les foules. Et pourtant ces décors figés dans le temps où l’on refait le monde et où l’on s’encanaille viennent nourrir l’imaginaire d’une nouvelle clientèle qui aime se retrouver de plus en plus dans ces établissements, dont certains ne sont même pas des descendants directs, mais en adoptent de nombreux codes. Dans cette nostalgie d’une période qu’on n’a pas connue que l’anthropologue David Berliner nomme « l’exonostalgie », Le Cornichon, à Paris, fait un tabac !

Le Cornichon, dans le 11e, à Paris. © Matteo Verzini 
Le Cornichon, dans le 11e, à Paris. © Matteo Verzini 

Le Cornichon, néo-PMU

Au cœur du quartier Goncourt, Le Cornichon joue les mirages. On croit entrer dans un bar-tabac-PMU figé dans les années 1970-1980, mais chaque détail, des banquettes en velours vert aux luminaires Space Age en passant par le néon et le plafond vague, a été recréé de toutes pièces par l’agence Claves Architecture. Pierre Henri, en salle, et Bertrand Chauveau, en cuisine

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, amis d’enfance, ont toujours aimé ces lieux, même avant d’avoir l’âge légal pour les fréquenter : « Ce qui nous plaît, c’est le mélange des milieux sociaux, les tauliers charismatiques et le côté jeu. On a donc voulu ouvrir notre bar-tabac idéal mais avec le petit truc en plus qui leur fait souvent défaut : bonne cuisine et bons vins. »

La devanture du Cornichon, faussement dans son jus. © Matteo Verzini 
La devanture du Cornichon, faussement dans son jus. © Matteo Verzini 

Inspirés à bien des égards par l’un de leurs restaurants préférés, le Petit Bar, près de la place Vendôme, ils se mettent en quête de leur graal et si le projet de départ a dû être réajusté, plus de tabac mais toujours des grilles à gratter, le résultat est plus que convainquant et l’on s’y presse pour se sustenter d’un classique bistrotier à la carte ou dans le semainier joliment interprété par le chef. « Au niveau du décor, c’est une totale création, tout a été refait du sol au plafond ! Le plus beau compliment, c’est quand les gens croient que tout est d’époque », confie Laure Gravier, architecte. Pour réussir leur pari, ils s’inspirent de l’architecture typique des bars-tabacs parisiens des années 1930 à nos jours.

« Nous voulions créer un espace très cinématographique comme dans le film Un Air de famille de Cédric Klapisch», précise Laure Gravier. La déco est d’ailleurs assez indéfinissable, si ce n’est celle d’un bar parisien de quartier avec des touches de différents styles : mosaïque mouchetée au sol réalisées sur-mesure, détails art déco, stratifié qui évoque le Formica typique de l’après-guerre, luminaires chromés, frise décorative avec des volutes de fumée (de Mauro Ferreira) et flipper en état de marche.

Flipper en état de marche, ventilateurs au plafond, sol en mosaïque moucheté… Le Cornichon a tout des vrais bars PMU. © Matteo Verzini 
Flipper en état de marche, ventilateurs au plafond, sol en mosaïque moucheté… Le Cornichon a tout des vrais bars PMU. © Matteo Verzini 

Avec tous ses détails soignés et son ambiance chaleureuse, Le Cornichon attire autant les habitués matinaux que les groupes d’amis, devenant un véritable lieu de vie. L’attrait de ces bar-restaurants au charme rétro, où l’on joue des coudes pour trouver une petite place au comptoir catalysent une indéniable envie de cohésion, que le lieu soit authentique, comme l’Étincelle, dans le 3e, ou bien néo comme le Hasard, dans le 8e, dont la devise est « jouer, trinquer, jouer ». À ce titre, le succès des soirées « Vendredi Teuf au PMU – DJ set et pilier de bar » en est une belle incarnation.

Quand la fête s’invite au comptoir

Et si les PMU devenaient les nouveaux temples de la fête ? C’est le pari du collectif Bouledogue, qui réinvente les troquets décatis en dancefloors festifs où les publics et les générations se mélangent dans une ambiance à la bonne franquette. « Nous avons souhaité casser les codes des soirées classiques et redonner leurs lettres de noblesse aux PMU », explique Valentin Malguy, fondateur du collectif. Sous des néons clignotants, les DJ sets deep house s’enchaînent, les bières coulent à flots et les courses hippiques défilent sur les écrans dans une ambiance joyeusement chaotique. Ici, pas besoin de s’apprêter : le dress code est simple, venez comme vous êtes. « On aime mélanger les publics, c’est ce qui donne du piquant à nos soirées. »

Le comptoir du Cornichon. © Matteo Verzini
Le comptoir du Cornichon. © Matteo Verzini

Ces bars-restaurants, qu’ils soient estampillés PMU ou simplement inspirés, incarnent une nouvelle mythologie du comptoir. « Un vrai rade, ce n’est pas qu’une question de déco ou de marketing, rappelle Pierre Henri, cofondateur du Cornichon. C’est une ambiance qui se construit au fil du temps, entre patrons et habitués. On ne voulait pas être un lieu concept, mais un lieu qui s’ancre dans le temps. » Ces lieux hybrides ne cherchent pas à remplacer les troquets traditionnels mais à dialoguer avec un héritage. Entre p’tit noir, mousses et cocktails bien shakés, ils repensent la convivialité tout en restant fidèles à ce qui fait l’essence du café du coin : la simplicité sans prise de tête.

> À feuilleter : « Rades » de Guillaume Blot, qui explore le charme brut des bar-tabac-PMU (Gallimard/ Hoebeke) et le guide « PMU, les 100 bars qui font la France », édition le Fooding.


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