Lors du Salon du meuble de Milan 2023, Paul Smith dévoile une seconde collaboration avec l’éditeur italien DePadova, l’occasion de revenir sur sa passion pour le design.
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IDEAT : La collection « Everyday Life » pour DePadova use de matériaux et de tons naturels. Quelle a été votre inspiration ?
Paul Smith : J’ai toujours aimé le mobilier italien, avec une admiration particulière pour le savoir-faire de DePadova, à travers notamment les créations d’Achille Castiglioni ou les installations de Renzo Piano pour le café du Centre Pompidou, à Paris. Pour cette collaboration, je voulais produire du mobilier confortable et respectueux de l’environnement. Les assises et les coussins sont en kapok, une fibre hypoallergénique issue d’un fruit tropical, en plume d’oie recyclée et en chanvre cultivé de manière éthique, sans pesticide. Il y a aussi des tables basses, un pouf, des petites couvertures en laine de mouton et d’alpaga et des accessoires amovibles pensés pour la vie quotidienne.
IDEAT : Au Salon du meuble de Milan 2023, il s’agit d’une seconde édition ?
Paul Smith : C’est une série complémentaire tournée vers l’outdoor, avec des matériaux résistant aux intempéries. La ligne indoor évolue aussi, avec des propositions modulaires.
IDEAT : Le mobilier comporte des surpiqûres en vert lime ou orange, et de petites sangles de cuir qui soulignent la structure en frêne. Ce sont les détails qui créent votre identité ?
Paul Smith : Je suis resté fidèle à l’adage « classic with a twist » (classique décalé, NDLR) qui me colle à la peau depuis des décennies. Nous nous imprégnons de l’histoire et de la fonction d’un produit existant et y ajoutons un élément de surprise. Cela peut se traduire par un costume bien coupé, aux tons relativement neutres et puis, d’un coup, vous déboutonnez la veste pour prendre un stylo et dévoilez une doublure rose flashy !
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IDEAT : Votre première boutique de prêt-à-porter, ouverte à Nottingham dans les années 70, était remplie d’objets d’art et de design. Vous êtes le pionnier du concept-store, avant 10 Corso Como, à Milan, ou Colette, à Paris !
Paul Smith : Le magasin mesurait à peine 9 m2. Il suffisait qu’une personne entre et c’était bondé ! Cela pouvait être un peu intimidant, il fallait un moyen de briser la glace. J’ai eu l’idée de présenter des souvenirs de vacances, comme des bibelots et des céramiques rapportés de Grèce, et des posters anglais. Les objets servaient surtout d’accessoires pour engager la conversation. Si j’ai créé le premier concept-store, c’était pour des raisons pragmatiques plus qu’idéologiques.
IDEAT : À Londres, en 1979, vous ouvrez un espace à l’architecture radicale en béton brut, reconnu aujourd’hui comme le premier magasin minimaliste du pays. Pourquoi ?
Paul Smith : Nous voulions changer la manière de penser la mode, en présentant les vêtements dans un espace dépouillé. C’est un peu grâce à cette architecture industrielle épurée que nous avons pu mettre en valeur des pièces de design fortes, comme la calculette noire de Dieter Rams pour Braun, l’aspirateur Dyson et les Filofax.
IDEAT : Quelle a été la réaction du public ?
Paul Smith : La démarche n’a pas toujours été bien comprise, mais de nombreux esprits créatifs comme les architectes Richard Rogers et Norman Foster ont commencé à fréquenter les lieux. C’était merveilleux. À partir de 1982, j’ai rapporté des gadgets du Japon, comme des stylos aux couleurs improbables ou des montres qui se transforment en robots… Les gens en raffolaient.
IDEAT : Comment choisissez-vous les œuvres vendues ou exposées dans vos magasins ?
Paul Smith : Longtemps seul et à l’instinct. Maintenant, j’ai de l’aide pour la présélection. Il suffit qu’une pièce me plaise pour qu’elle soit exposée chez nous. Je collectionne aussi un tas de choses. Dans mon bureau, il y a une œuvre picturale de Lynette Yiadom-Boakye, un poster Live Aid signé par Peter Blake, des tee-shirts de cyclisme, des centaines de sculptures de lapins et un poème envoyé par un enfant. Il n’y a pas de hiérarchie des genres, tout est au même niveau.
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IDEAT : Vous avez infusé votre style sur de nombreux objets du quotidien, comme une Mini Cooper, une bouteille d’Évian, une lampe Anglepoise et un appareil photo Leica. Comment choisissez-vous ?
Paul Smith : Nous avons beaucoup de chance. En général, les propositions arrivent d’elles-mêmes et notre talent est de savoir dire non ! Chaque projet est le fruit d’une coopération avec la marque en question. Je le dis souvent, c’est avant tout une affaire de respect du produit. À partir de là, je me sens libre de m’exprimer avec des touches décalées ou en jouant avec les coloris, par exemple.
IDEAT : Les expositions du Design Museum, à Londres, « True Brit » (1995) et « Hello, My Name is Paul Smith » (2013), exploraient les différentes facettes du métier de designer plutôt que les temps forts de votre carrière. Vos projets institutionnels sont-ils principalement pensés comme des exercices didactiques grand public ?
Paul Smith : Les présentations sur la mode sont souvent statiques, avec des mannequins qui portent tel ou tel vêtement. Mais personne ne parle de comment le créateur en est arrivé là ! Il ne suffit pas de dessiner un costume sur un bout de papier et d’attendre que cela tombe du ciel. Il faut collaborer avec des fournisseurs, des distributeurs, préparer un défilé, etc. « True Brit » avait pour but d’expliquer le fonctionnement de notre industrie, loin des clichés romantiques du créateur seul dans son coin.
IDEAT : La Paul Smith’s Foundation, ouverte en 2020, puise dans cinquante ans de carrière pour offrir des conseils pratiques à de jeunes créateurs. Pourquoi l’avez-vous créée ?
Paul Smith : La fondation fonctionne comme une réserve d’archives des idées qui m’ont aidé à transformer un rêve créatif en réalité. J’ai commencé ma carrière avec une centaine de livres sterling en poche, et aujourd’hui nous avons plus de 130 boutiques à travers le monde. L’institution est un moyen de renvoyer l’ascenseur en éduquant les talents de demain.
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