À Paris, le Studio des Acacias by Mazarine accueille l’exposition No Apologies du jeune plasticien français Kenny Dunkan, parrainé par l’artiste afro-américain Rashid Johnson, dans le cadre du premier mentorat Reiffers Art Initiatives. Lequel projet vient d’être créé par Paul-Emmanuel Reiffers pour promouvoir les artistes émergents, la création française et la diversité culturelle.
L’ambition de Reiffers Art Initiatives est aussi sonnante et trébuchante. C’est un fonds de dotation pour aider concrètement la jeune création contemporaine, notamment en France en agissant pour la représentation de sa diversité culturelle.
Le troisième solo show pour le Français Kenny Dunkan
Pendant six mois, Kenny Dunkan, artiste français originaire de Guadeloupe, a phosphoré avec son mentor, l’artiste afro-américain Rashid Johnson, une star avec les pieds suffisamment sur terre pour lui prodiguer des conseils sans le phagocyter. Les deux artistes ont fini par envahir ensemble l’espace de la première salle de l’exposition. Il y règne un esprit d’enrichissement mutuel tandis que le parcours initiatique qui suit est bien un solo show de Kenny Dunkan. Le premier a eu lieu dans l’appartement-galerie de l’Association Interface, à Dijon en 2016, le deuxième à la galerie des Filles du Calvaire, à Paris en 2020.
D’entrée, une grande toile de Rashid Johnson est présentée sertie dans l’univers graphique de Kenny Duncan qui a intégralement peint les murs autour. Ce mentorat suggère le dialogue de deux esprits, échangeant avec d’autant plus d’intérêt qu’ils viennent d’horizons culturels différents mais peuvent traiter dans leurs œuvres des sujets proches. On pense spontanément à l’identité et l’influence que peut avoir sur elle la perception d’autrui.
Le mot d’immersion, bien qu’à la mode, recouvre ici une tangible réalité. Sculptures, vidéos, photographies, on ressent spontanément l’univers de Kenny Dunkan. Ses points de vue ne sont jamais opaques. Ils ne sont pas non plus fermés sur des certitudes pontifiantes. Avec de l’attention, on entre de plein pied dans les réflexions de Kenny Dunkan, sur ce qu’il fait de ses origines guadeloupéennes et de ce qu’elles font de lui, dans sa tête, passé ou présent et plus encore dans le regard des autres.
Investir l’espace pour transmettre un message
Quelque chose frappe l’esprit. L’artiste semble à l’aise pour dire les choses le plus clairement du monde. Mais il est tout aussi doué pour créer au sens de fabriquer. Il utilise des moyens et des matériaux de designer sourceur aguerri pour construire des objets et investir l’espace de vrais micro-climats. Dans la seconde salle, les visiteurs s’asseyent sur des siège seventies, sorte de sièges oreillers Fat boy géant posés au sol. La toile de ces oreillers géants est imprimée de motifs agrandis de céramique de Vallauris. C’est très confortable mais ça crisse quand on s’assoit, parce que nous sommes en fait assis sur du foin tapissé en siège. Au mur, une projection de 10000 photos sorties de l’IPhone de l’artiste se succèdent, entre moodboard et photos de la vie quotidienne. Le cerveau fait son choix.
A l’étage, pas besoin d’une tonne de matériaux pour parler de la question noire plus que jamais objets de discussions publiques, parfois enflammées, des débats télévisés aux réseaux sociaux. Pour Kenny Dunkan, un carré de serviette éponge frotté sur son corps après la douche, suffit. Encadré au mur, il est marqué de traces brunes, résidus de « sébum », de film hydrologique ou tout simplement de mélanine ?
Un dialogue avec Rashid Johnson
L’artiste Rashid Johnson s’est lui aussi prêté au jeu, qui n’en est pas un, posant entre autres la question, de l’objet et de la nature de ce débat. C’est un point de départ de discussion assez solide, presque dépassionné. Le visiteur peut aussi ressentir par aperçus assez vifs, en vidéo par exemple, la vibration de certains moments de la vie quotidienne en Guadeloupe.
C’est un peu capter là l’expression d’une identité à travers des évènements de la vie quotidienne ou de célébrations. Pas loin, git, sans sarcophage, une créature au regard intrigué. Ce corps est constitué de petites fiches. En y regardant de plus près, elles dessinent un motif phallique. Ces fiches nous font découvrir en même temps le nom de marques de produits pour défriser les cheveux crépus. Faut-il nécessairement les associer à l’agression de ceux qui décolorent la peau ?
Les questions fusent. Dans l’escalier, un autre corps est allongé, complètement tissé de fils techniques utilisé sur les chantiers pour couler du béton. Un phallus géant composé de Tour Eiffel souligne, en plus de son sujet, le côté designer de Kenny Dunkan.
Talent à suivre
L’espace est aussi envahi par des sons, jusqu’au plafond où de faux palmiers ont été plantés. Jeune artiste, sorti de l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs en 2014, Kenny Dunkan a des choses à dire sur le monde actuel, celui de ses origines, le corps contemporain, le sien, ce dont il jouit et tout ce qu’il risque dans la perception de l’œil d’autrui, quel que soit la couleur semble-t-il. L’artiste est clair et fin, n’assénant rien au marteau et à la truelle. S’exprimer finement ne veut pas dire qu’il édulcore des sujets aussi sérieux er clivant que l’appartenance culturelle, la perception de la couleur de la peau ou la sexualité.
Reifers Arts initiatives entend accompagner ce genre d’échanges entre gloire de l’art et artiste émergent pour une trentaine d’entre eux par an. Un group show sera programmé chaque printemps avec des jeunes talents. Il est prévu également d’organiser des expositions aux Etats-Unis et en Chine, le tout matérialisé par une plateforme digitale. Soutenir la création en France et à l’étranger en partageant des valeurs d’ouverture et d’inclusivité. C’est une chose de le penser, c’est une autre chose de le faire. « Pour un art sans excuses ni compromis, laissant triompher sa grande intégrité » conclut Paul-Emmanuel Reiffers, à la tête du fonds de dotation.
> Exposition No Apologies, Kenny Dunkan et Rashid Johnson au Studio des Acacias by Mazarine jusqu’au 20 novembre prochain.