Qu’elles soient minuscules ou grandes, sombres ou lumineuses, peintes sur toile ou sur bois, les oeuvres de Marguerite Piard invitent à interroger la représentation des corps féminins. Dans des scènes d’apparence très simples, elles témoignent d’un regard empathique et tendre sur des corps encore trop souvent objet de désir. En contrepoint de ses instants quotidiens qu’elle reproduit, la présence d’oeuvres plus obscures et de natures mortes évoquent quant à elles une part plus énigmatique de son travail. Ayant été dans un premier temps visible dans un espace de la rue Saint-Claude, l’exposition l’est désormais sur rendez-vous dans l’appartement-showroom de la galerie Maestria pour une expérience encore plus intimiste.
IDEAT : Très souvent nus, qu’est-ce que les corps de vos toiles racontent ?
Marguerite Piard : Avant d’être nus, les corps de mes personnages sont d’abord féminins. L’enjeu de mes peintures est de parler de mon rapport au corps. Jusque-là, c’était majoritairement des autoportraits et avec le temps, j’ai eu de plus en plus le besoin de faire poser d’autres personnes. Pour cela, il fallait une relation de confiance réciproque. Je travaille donc généralement avec mes amies proches, ma soeur… Les corps allongés, repliés sur eux-mêmes, en introspection profonde, racontent leur fatigue de performer une « féminité » attendue. Leur nudité n’est pas sexuelle. C’est le regard de l’autre qui va sans cesse sexualiser le nu féminin, l’objectifier. Peindre mon corps nu est ainsi une manière de me le réapproprier et de créer un espace protecteur où les femmes peuvent se reposer sans craindre aucun regard sur leurs corps.
IDEAT : L’ombre et la lumière semblent aussi jouer un rôle important dans vos tableaux, quel est votre rapport à ces éléments-là ?
Marguerite Piard : La peinture est une question de valeurs, d’ombres et de lumières, c’est ce qui donne l’impression de volume. J’ai une passion inépuisable pour le traitement des peaux et je prend énormément de plaisir à chercher les teintes et les nuances de la peau. On découvre qu’elle porte en elle des couleurs invisibles à l’œil nu ou inattendues : des bleus, des verts, des violacés, des ocres, que l’on choisit ou non de saturer d’avantage. Je recherche un effet de saisissement avec, par exemple, le motif récurent des mains. En les représentant entrelacées, je cherche à provoquer chez la personne qui regarde ces scènes des sensations, des souvenirs, ou même de réveiller des désirs charnels.
Pour mon exposition avec Maestria, certaines lumières des tableaux portaient une tension plus dramatique qu’habituellement, presque surréaliste (surtout concernant celles exposées dans la salle du bas que l’on a pensé en terme de scénographie comme une descente au sein du cauchemar). Les teintes des œuvres y étaient plus sombres, comme symboles de l’exploration des troubles intérieurs.
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IDEAT : Votre dernière exposition « J’ai quelquefois des vivants qui me donnent des insomnies » révèle un glissement de la représentation de corps vers les natures mortes. Comment expliquez-vous ce passage d’un genre à un autre ?
Marguerite Piard : Bien que j’ai toujours été attirée et fascinée dans les musées par la nature morte, et que j’ai depuis longtemps le désir de m’y essayer, celles présentées dans l’exposition à la galerie Maestria m’ont surtout servies à sortir de ma zone de confort. Certains objets ont une symbolique très forte et peuvent raconter plusieurs versions d’une histoire en fonction de leur disposition dans un espace, ou à côté de quel autre objet ils sont placés. La nature morte me permet ainsi de raconter des récits personnels, intimes et secrets. J’aime l’idée d’une énigme indéchiffrable ou alors simplement interprétable pour le ou la regardeur.euse.
Ces toiles m’ont également permis de servir l’idée du cauchemar dont je souhaitais parler depuis le début pour cette exposition. C’est comme si j’avais souhaité montrer ce qui vient peupler mes cauchemars sous la forme d’objets-symboles. Tout comme l’acte de peindre en lui-même, ces toiles peuvent agir comme une catharsis : ce sont des images à analyser pour mieux se connaître, et pour comprendre pourquoi nos nuits sont troublées.
IDEAT : Apposées sur du bois, vos peintures acquièrent un aspect brut et quasi-organique, qu’est-ce qui a déterminé ce choix de support ?
Marguerite Piard : Depuis le début de ma pratique je récupère et me réapproprie des objets ou éléments naturels : coquillages, pierres, os de seiches… Le choix d’utiliser le bois comme support de prédilection s’est fait de la même manière, en récupérant des chutes de bois aux encombrants. Le format et l’aspect de la surface du support sont très importants pour moi et font désormais partie intégrante de l’œuvre. Tantôt il est enduit de plâtre ou de poudre de marbre, tantôt il est simplement enduit de gesso (acrylique blanche, sous couche). Plus récemment, je me suis mise à tailler les planches pour les transformer en bas-reliefs. Cela traduit mon attirance pour l’objet peint mais aussi la sculpture et le volume. Le bas-relief donne aussi envie de toucher l’œuvre, comme pour vérifier qu’il y a des creux, de la caresser…
IDEAT : Quels sont vos projets à venir ?
Marguerite Piard : Trois expositions collectives : la première en mai, curatée par Nicolas Dewarvin, autour des plaisirs de la bouche, la seconde en juin organisée par Elsa Meunier et Mathilde Le Coz, et la dernière avec la galerie Bruxeloise Edji, « Pride Unprejudiced ». Enfin, ma collaboration avec la galerie Maestria devrait se poursuivre à la fin de l’année. En attendant j’ai la chance d’aller à la résidence Therapeia à Paxos en Grèce tout le mois de mai pour peindre aux côtés de mon amie artiste Cécile Guettier.
> Pour visiter l’exposition à la Galerie Maestria, il convient désormais de prendre rendez-vous.
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