Fin février, la cheffe Manon Fleury s’est emparée des fourneaux du bucolique Chalet des îles Daumesnil, niché sur l’île de Reuilly, au cœur du bois de Vincennes. Avec son équipe majoritairement féminine, elle est la première à s’installer dans cette maison de campagne champêtre le temps d’une résidence en collaboration avec la maison de gin français bio Anaë, avant que d’autres cheffes ne lui succèdent au mois de mai 2023.
IDEAT.FR : Après votre résidence au Perchoir Ménilmontant, vous voici à l’origine d’une nouvelle expérience éphémère à Paris. Qu’est-ce qui vous plaît dans ce format ?
Manon Fleury : C’est un formidable exercice pour l’ouverture de mon futur restaurant en tant qu’entrepreneure, et comme une manière d’approfondir ma réflexion sur la cuisine. Les résidences du Perchoir nous laissent beaucoup de liberté, on recrute et gère notre équipe, on a des objectifs en termes de chiffre d’affaires. J’ai aussi été charmée par cet endroit particulier au milieu du bois de Vincennes, et en même temps encore à Paris. On a l’impression d’être ailleurs, on est un peu comme dans une bulle.
IDEAT.FR : Vous mettez en avant plusieurs producteurs dans votre menu, comment travaillez-vous avec eux ?
Manon Fleury : On travaille en circuit-court avec une dizaine de producteurs, à qui on passe commande chaque semaine – un producteur d’agrumes à Perpignan, un cueilleur d’algues… On a différentes manières de réfléchir, mais très souvent on part du produit. Prenons le plat autour de l’endive, que cultive l’un de nos deux maraîchers en Île-de-France, en pleine terre. On est partis de la jolie forme de ses feuilles et de son amertume, qu’on casse avec la douceur de l’amande, travaillée dans un praliné. Ça vient balancer la fraîcheur et le croquant de l’endive, auxquels on vient ajouter le côté iodé de l’algue.
IDEAT.FR : Vous travaillez tous vos ingrédients dans leur intégralité, dans une démarche anti-gaspi, mais aussi car cela apporte quelque chose au niveau gustatif. Pouvez-vous nous expliquer comment ?
Manon Fleury : Ça tisse un fil rouge. On ne mange pas la pulpe de courge sans savoir où sont passées la peau, les graines… Ce sont des éléments qu’on va retrouver dans d’autres assiettes, ou dans les boissons de Benoît d’Onofrio, notre « sobrelier ». On sert d’abord un bouillon infusé en peaux de courge, puis on travaille une poudre de peaux de courges torréfiée sur une gougère. À partir d’un seul et même produit, on crée une cohérence tout au long du repas. En fin de repas, justement, on propose une infusion à base des parties de fruits qu’on a du mal à valoriser généralement, comme les trognons de pommes, les épluchures…
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IDEAT.FR : On trouve à la carte des recettes en hommage à des grands classiques de la cuisine française, comme la potée au chou ou la crêpe Suzette. D’où vient votre inspiration ?
Manon Fleury : On va chercher dans nos souvenirs d’enfance – la crêpe Suzette de nos grands-mères, le côté fumé de la cuisine paysanne, souvent faite de plats à partager. Dans le plat aux choux, on vient apporter de la modernité avec un accord terre/mer, sous forme de rouleaux de chou farcis à la chair de saucisse et au crabe, servis avec une bisque. La forme est aussi déstabilisante, avec ces rouleaux qui rappellent la cuisine d’Asie.
IDEAT.FR : Un seul plat, celui au chou justement, contient des protéines animales. Diriez-vous que votre cuisine est majoritairement végétale ?
Manon Fleury : La protéine vient compléter le travail sur le végétal, mais ce dernier est central. On n’est pas anti-viande, mais on sait qu’il faut en baisser la consommation et manger de la meilleure qualité. On travaille notamment avec un éleveur de cochons du Lot-et-Garonne, qui nourrit ses cochons avec les céréales de notre céréalier. Dans ma cuisine, j’explore le monde du végétal, notamment des oléagineux, qui sont des alternatives hyper intéressantes aux produits laitiers, quand on cherche des textures grasses et crémeuses.
IDEAT.FR : Comment avez-vous pensé le trait d’union entre les assiettes et les boissons sans alcool du sobrelier Benoît d’Onofrio ?
Manon Fleury : On part des recettes. Benoît va par exemple utiliser du chou rouge dans une de ses boissons, pour rappeler le plat précédent à base de chou. Il s’accorde à ce qu’on fait en cuisine, mais il fait sa propre cuisine en utilisant les mêmes produits que nous. Il mène aussi une réflexion sur ce dont on ne se sert pas en cuisine.
> Manon Fleury au Chalet des Îles Daumesnil, île de Reuilly, Bois de Vincennes, jusqu’au 23 avril. Menu unique à 55€ au déjeuner (le samedi et dimanche) et 80€ le dîner (du jeudi au samedi soir). Menu enfant jusqu’à 12 ans à 25€. Sur réservation ici.