« Je ne parle que lorsque j’ai vraiment quelque chose à dire », ironise avec un demi-sourire le designer italien Hannes Peer, dont la notoriété grimpe en flèche. À l’instar de sa mère, une artiste qui s’adonnait à la sculpture et ne sortait du silence que pour commenter ses œuvres. Hannes Peer, originaire du Tyrol du Sud autrefois autrichien, y a été sensibilisé au métier de menuisier par son grand-père. Un taiseux qui s’ouvrait davantage lorsqu’il s’agissait de transmettre sa passion.
À lire aussi : Portrait : qui est Garance Vallée, la designer incontournable du moment ?
Esprit libre
Si le Tyrol est réputé pour son artisanat, en particulier les communes de Val Gardena et Cortina, le jeune homme, qui valorise toujours les savoir-faire, quitte tôt ses montagnes et ses lacs. Un environnement par trop traditionnel pour lui. Plutôt que d’étudier à Innsbruck, dans l’Autriche voisine, il file apprendre l’architecture au Politecnico de Milan, puis à Berlin, avant d’intégrer, à Rotterdam, le studio Oma de l’architecte hollandais Rem Koolhaas.

Berlin l’émancipe, car cette ville l’encourage à étudier toutes sortes de contextes – jusqu’en sa périphérie désertée. Ces expériences conditionneront les choix futurs des matériaux utilisés par Hannes Peer. Une attitude qui devient rapidement sa « gymnastique mentale », dixit le designer.
En 2009, ne souhaitant plus être chef de projet chez Oma, bien qu’il ait participé à des projets exaltants, tels que celui de la bibliothèque centrale de Seattle, aux États-Unis, Hannes Peer fonde son studio. Il s’installe dans le quartier de Porta Romana, à Milan.

Contrairement aux apparences, malgré une décoration presque opulente, comme le salon d’un client, l’architecte décrit plutôt son studio comme un lieu de travail, conçu pour ses cinq employés. Il ne s’agit donc pas d’un showroom déguisé. Hannes Peer ne veut pas d’équipe plus grande, il collabore déjà régulièrement avec quatre architectes extérieurs.
Ce qui lui permet de livrer, sans battage médiatique, des hôtels, comme The Manner dans Soho, à New York. On le voit davantage au Salon de Milan, quand il collabore, comme cette année, avec l’éditeur de mobilier italien Minotti, pour livrer cinq nouvelles pièces ou avec un jeune verrier de niche, encore confidentiel, tel que 6.AM.

Cette maison, fondée à Murano en 2018, a fait sensation à Milan, en révélant la production du designer dans le sous-sol abandonné des cabines d’une vieille piscine des années 1930. Dans l’allée, telle une cohorte de douches de cristal, trônaient cinq grands lustres d’Hannes Peer, composés de plaques de verre travaillées en relief.
Design en résistance
Pour le marbrier Margraf, jeune équipe elle aussi, l’architecte a patiemment mis au point l’installation « Crash », destinée à changer le regard sur ce matériau qu’il a traité telle une fine feuille, parfois froissée comme un tissu qui recouvre les murs.

Qu’on lui parle de réminiscences des Seventies perçues dans ses intérieurs relevant du collage d’époque, l’homme botte en touche, ne jurant que par l’intemporel et « la pertinence du design qui dure ». Avant d’ajouter: « Un produit qui n’est plus à la mode après un an est un produit qui ne vaut pas la peine d’être fabriqué ».
Et de citer en modèle Le Corbusier, Mies van der Rohe, Carlo Mollino ou Roman & Williams, duo américain venu du décor de cinéma. L’immédiateté de TikTok et d’Instagram ne lui est que de peu d’intérêt.

Pourtant, depuis l’enfance, il a toujours aimé inventer des histoires pour échapper à la triviale réalité. Il procède de même avec ses projets. Parallèlement, lui-même s’est réinventé au fil de sa vie, passant de l’architecture à celle des intérieurs ainsi qu’à la décoration.
Aujourd’hui, il peut insérer un élément repéré à Los Angeles ou à Tokyo dans un appartement à Milan. Même si le contexte reste avant tout la personne vivant dans les lieux. Le designer nourrit aussi un dédain évident pour les recettes déco, qui l’ennuient, leur préférant les collisions de styles et les accidents culturels.

Pour ce faire, il délègue peu, tout en se disant à l’écoute de ses collaborateurs… restant influencés par lui. Jusqu’ici tout s’enchaîne, succès y compris.
À lire aussi : Rencontre avec Faye Toogood, élue designer de l’année par Maison& Objet