Il suffit de taper « Nancy Meyers Aesthetic » sur TikTok pour trouver des centaines de vidéos tentant de recréer les décors reconnaissables entre mille de la réalisatrice phare des comédies romantiques des années 2000 (dont The Holiday, 2006, et Ce que veulent les femmes, 2000). Dans cette esthétique nord-américaine bourgeoise, on retrouve des intérieurs chaleureux, des tons neutres, des lumières chaudes, de grandes cuisines ouvertes et beaucoup de bois. Les maisons dans les films de Nancy Meyers ont, à l’instar de la cuisine de Monica dans Friends, du dressing de Carrie Bradshaw dans Sex and the City – si culte qu’il a été recréé par Airbnb – et du salon familial dans Le Prince de Bel-Air, acquis leur propre réputation, à la hauteur de l’importance de ces productions. Mais depuis la fin des années 2000, il semblerait que les intérieurs dans les fictions ne soient plus aussi facilement identifiables. Une question de goût, de façon de travailler, mais aussi de budget. Décryptage.
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Le décor comme sociologie visuelle d’un personnage
François-Renaud Labarthe, chef décorateur depuis le milieu des années 1980, a toujours considéré son métier comme ayant une « responsabilité sociologique », celle de montrer comment les intérieurs évoluent ou changent au fil du temps. « Quand nos successeurs voudront se renseigner sur la manière dont les gens vivaient en 1995 ou en 2024, il faut pouvoir leur mettre à disposition des films qui illustrent cette évolution sans leur mentir. »
Plus qu’un goût de l’époque, la décoration d’une production doit refléter la psychologie des personnages afin de pouvoir identifier leur environnement culturel et leur statut social. « Je considère que le scénario décrit l’univers intérieur des personnages, tandis que mon travail consiste à représenter l’univers extérieur, ce qui n’est pas dit, et à répondre aux questions générales : “D’où viennent ces gens ? Quelles sont leurs habitudes ? Si on ouvre leur frigo, qu’y trouve-t-on ?” », poursuit le chef décorateur qui travaille autant en France qu’à l’international.
Ces éléments, qui vont du choix de la couleur d’un mur à celui d’un meuble, permettent de situer les personnages en les liant à l’intrigue : un objet venant de chez IKEA ne se traduira pas de la même manière qu’une armoire ancienne qui aurait été chinée en brocante ou héritée d’un parent fortuné. Pourtant, ces détails semblent de plus en plus génériques dans les productions actuelles, qui suivent davantage une forme de cahier des charges de tendances populaires.
Quand les choix sont dictés par les partenariats
Le dernier exemple en date est sans doute Nobody Wants This, série romantique à succès sortie sur Netflix cette année, dont le décor a été très commenté par des internautes souhaitant identifier certains objets. Si chaque espace reproduit le style léchée des intérieurs de Los Angeles, le problème est le manque de cohérence avec leurs supposés occupants.
Selon Jean-Patrick Flandé, directeur associé de Film Media, leader du placement de produits dans les fictions françaises en Europe et à l’international, le changement s’est pourtant opéré dès les années 1960, « quand les décors, qui étaient totalement construits en studio et permettaient une maîtrise et recréation totale des univers de chacun des personnages, sont passés petit à petit à des constructions partielles ou à la location de logements ». C’est d’ailleurs le cas pour Nobody Wants This, où le héros, un rabbin, campe une luxueuse maison d’Eagle Rock et l’héroïne, une podcasteuse, habite à Hollywood dans un immense appartement.
Le spécialiste évoque d’ailleurs le déséquilibre entre la classe socio-économique d’un personnage et son environnement, dû notamment à la « surreprésentation » de marques friandes de placements de produits, dont Vitra – éditeur de la Lounge Chair du couple Eames, omniprésente dans les fictions, vendue à partir de 5135€ – et Smeg, dont la ligne « Années 50 » colonise les cuisines du grand et du petit écran. « Contrairement à d’autres, beaucoup plus lisses, ces produits facilement identifiables apportent une touche très spécifique. Un personnage qui a ce type de matériel n’est pas le même qu’un autre qui aurait des accessoires beaucoup plus basiques », ajoute le directeur associé de Film Media. Il est donc essentiel de bien réfléchir avant d’en équiper le studio miteux d’un étudiant fauché.
Si François-Renaud Labarthe trouve que les partenariats ne sont pas dénués d’intérêt – ils facilitent l’obtention du droit à l’image d’une marque nécessitant des autorisations – celui à qui l’on doit les décors de Irma Vep (le film de 1996 et la série de 2022 d’Olivier Assayas) regrette que la variable d’ajustement des budgets se fasse souvent au détriment de la décoration : « Les producteurs savent que le décor compte, mais nous continuons d’être le parent pauvre des budgets, car ces derniers n’ont pas toujours conscience que le décor a autant d’importance que les costumes. » Jean-Patrick Flandé, directeur associé de Film Media, rappelle tout de même que le cinéma est là pour faire rêver : « Tous les éléments vus à l’écran ne sont pas toujours ancrés dans un réalisme pur. » C’est le cas par exemple des toiles de fond prisées par Wes Anderson, qui ne cherche en aucun cas à coller à une réalité mais bien à donner vie à un monde imaginaire.
Il est difficile de savoir comment les productions vont s’adapter aux spécificités contemporaines, notamment avec Internet et les réseaux sociaux qui voient défiler les tendances à vitesse grand V. Comment ajuster cela sans tomber dans une vitrine qui ne servirait pas à raconter une histoire mais bien à attirer un jeune public content de retrouver ces esthétiques familières ?
François-Renaud Labarthe est optimiste pour la suite et continuera de puiser son inspiration dans le quotidien, loin des réseaux et des magazines de décoration, en espérant travailler sur des projets qui en comprennent les enjeux. « Faire du beau, ce n’est pas simplement mettre des objets beaux, mais créer un ensemble harmonieux qui donne un style au film. J’essaie de mettre de côté mes goûts personnels quand je travaille et je demande aux réalisateurs d’essayer de faire de même. Il faut pouvoir destructurer la décoration pour l’ancrer dans la vie réelle. Cela peut tout changer. »
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