En décembre 2022, à Bruxelles, Christophe Hardiquest est devenu Menssa, sans sacrifier le confort de ses convives ni renoncer à une offre gastronomique de haut vol, bien au contraire, en permettant de se rapprocher au plus près de la cuisine et de ceux qui la préparent. Une transformation radicale mûrement réfléchie et annoncée en juin 2022 par un chef pourtant en pleine gloire.
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Un renouveau de la gastronomie
« Il y a quatre ou cinq ans, je commençais déjà à me poser des questions, se souvient Christophe Hardiquest. J’adorais Bon-Bon, j’étais très heureux d’avoir mené cette maison au firmament, mais je sentais qu’elle n’était plus en accord avec mes valeurs et ma vision. Puis le Covid-19 est arrivé, et le problème du recrutement n’a fait que confirmer ma réflexion. Quand on met une annonce pour embaucher et que personne ne se présente, il est absolument impossible dans un 2-étoiles Michelin, noté 19,5/20 au Gault&Millau, de gérer 44 couverts avec seulement deux personnes en salle. Dans un tel établissement, les gens ont des attentes que je souhaitais faire évoluer grâce à un nouvel écrin. »
Avec la complicité de l’architecte Anne-Catherine Lalmand, il a donc imaginé ce comptoir unique en noyer belge (tous les matériaux et le mobilier sont sourcés et fabriqués en Belgique), sa version de l’omakase japonais, où l’on s’en remet entièrement au chef et à son équipe. « Je n’ai rien inventé, Joël Robuchon l’a fait il y a vingt ans, en s’inspirant aussi du Japon. Je voulais un comptoir permettant d’avoir accès aux clients, mais assez large pour préserver leur intimité. »
Au centre de la salle est placé un « arbre » étendant ses branches jusqu’au plafond, évocation de la forêt voisine, et diffusant ses ondes apaisantes à ceux qui pénètrent dans l’espace. En termes de déco, c’est à peu près tout. L’important étant ce qui se passe juste sous les yeux des clients.
Place au spectacle
La brigade prépare et dresse devant eux leurs plats (à l’exception des cuissons fumantes et odorantes conçues dans la cuisine principale), elle les pose ensuite sur des plateaux qu’elle leur tend, à la japonaise, les invitant à prendre eux-mêmes leur assiette. Même le couteau, choisi par le convive parmi ceux de chefs réputés, sera au cours du repas lavé devant lui, avant de lui être rendu déposé sur une jolie serviette propre.
« Le comptoir permet de recréer une vraie relation avec le client et, surtout, de connecter ce dernier non pas au seul chef, mais aux membres de l’équipe. Ils connaissent leurs plats mieux que quiconque et peuvent donc en donner une explication. Leur place face à la clientèle témoigne aussi de l’importance qu’ils ont dans la maison. Cela fait vingt-cinq ans que je travaille en cuisine ouverte et c’est, selon moi, ce qui permet aux cuisiniers d’exister. Tout le monde a besoin de reconnaissance et quand on officie derrière deux portes battantes ou dans une cuisine fermée, on n’a aucune notion de l’impact de notre métier. Ça engendre de la frustration. »
Pour mener à bien son projet, Christophe Hardiquest a pris des risques. Il a sacrifié une quinzaine de places et a constaté qu’une partie de sa clientèle, plus habituée au confort bourgeois d’un restaurant gastronomique traditionnel, a cessé de fréquenter son établissement. Un mal nécessaire d’après lui pour assurer le renouveau d’une offre gastronomique jugée par certains ronflante et ennuyeuse et, en tout cas, moins en phase avec l’époque.
Une régénération de son métier indispensable : « On enlève le superflu, le côté guindé, et on revient à l’essentiel de la relation restaurateur-client. Si ce n’est pas nous, les chefs un peu en vue, qui nous mouillons à un moment donné pour montrer une nouvelle direction, qui va le faire ? Il y a un signe flagrant et très chouette que j’ai observé : chez moi, personne n’est sur son smartphone, certains le prennent pour faire des photos, mais après c’est terminé, ils le posent ou le rangent. »
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