Une fois n’est pas coutume, le studio d’édition et de création Lelièvre dévoile une nouvelle collection de tissus créés presque entièrement à partir d’une pièce historique. « Nous avons l’habitude de travailler autour d’un thème, comme l’Himalaya ou l’univers de l’Art », explique Emmanuel Lelièvre, directeur général et descendant d’Henri Lelièvre, qui a fondé la maison éponyme en 1914.
L’envolée fantastique de la Maison Lelièvre
C’est en ouvrant une boîte cartonnée entreposée dans les archives que la directrice de la création Ingrid Lager découvre, un peu au hasard, une soierie unique aux motifs fantastiques. Le textile est parsemé d’oiseaux de feu imaginaires au plumage luxuriant, qui semblent prendre leur envol sous un ciel radieux. Fascinée par la richesse iconographique et technique de l’étoffe, Ingrid soumet sa trouvaille à la direction, et il est bientôt décidé qu’elle sera la clef de voûte de la prochaine collection.
La pièce date des années 1860, une période artistique marquée par la culture asiatique et un collectionnisme effréné entamé aux siècles précédents. Elle est aussi empreinte de ces récits de voyages en Orient, rêvés ou imaginaires, qui font suite à la progression des colonisations européennes. Était-ce une commande privée, un prototype ? Difficile d’en savoir plus, si ce n’est que le lampas tissé faisait partie du fond Tassinari & Chatel, racheté par la maison Lelièvre en 1997.
A rebours des effets de mode
Pour mettre leur trésor au goût du jour, les équipes du bureau de création collaborent avec le directeur de la manufacture, Jean-Michel Clairet, qui mène de nombreux tests depuis les ateliers Lelièvre à Panissières, dans la Loire. Les reflets chatoyants du tissu du Second Empire laissent finalement place à un fini plus mat, qui s’éloigne de l’influence asiatique et permet de faire ressortir les coloris. Intitulée « Les Songes », la soie imprimée est éditée dans des déclinaisons sauge, miel et poudré.
Le pendant en jacquard, baptisé « Les Rêveries », est difficile à réaliser. Il nécessite un calibrage minutieux des croisements de fils sur le métier à tisser pour pouvoir rendre le graphisme et les couleurs avec précision, auxquelles s’ajoutent également des considérations pratiques. « Le raccord vertical du motif original était très grand, il a fallu ajuster les proportions pour que cela soit utilisable facilement par nos clients sur une paire de rideaux, par exemple », se souvient Emmanuel.
Le choix des coloris a lui aussi bénéficié d’une attention particulière, déconnecté des effets de mode. « En tant qu’éditeur, nous cherchons avant tout à créer des ambiances, plutôt qu’à suivre les éventuelles recommandations du marché. Nous nous imaginons plus en leader qu’en suiveur », explique Emmanuel. Loin du magenta vif élu couleur Pantone de l’année 2023, le fond céladon de « Rêveries », proche du modèle d’origine, est une référence visuelle autant qu’historique. Il évoque le berger Céladon, héros du roman pastoral L’Astrée (1627), dont les rubans bleus-verts auraient donné leur nom par antonomase aux céramiques chinoises de Longquan, popularisées en France à la même époque.
A l’image de l’historien de l’Art Daniel Arasse, qui décryptait les œuvres d’art en se concentrant sur un détail, la nouvelle collection Lelièvre propose également trois références aux motifs directement prélevés sur l’archive du XIXème siècle, et juxtaposés à l’infini. Le jacquard « Alula », sans doute le plus graphique de la série, se décline en camaïeux composés de bouts d’aile stylisés. Pour « Alizé », les volutes mouvantes ont été interprétées dans un mélange de tons froids et naturels. La tapisserie « Divin » retranscrit, quant à elle, l’univers fabuleux d’un battement d’aile multicolore.
Pour parfaire cet univers onirique, les velours des tissus « Nabab » et les chenilles de la gamme « Athéna » se mettent au diapason, offrant des palettes complémentaires et coordonnées à cette Envolée Fantastique.