Mai 2024. Dans la ville de Kristiansand, au sud de la Norvège, se prépare l’inauguration d’un nouveau musée, le KunstSilo. Étymologiquement, son nom raconte toute l’histoire de ce lieu, de son passé à son présent. « Kunst » signifie « art » et « silo » ne nécessite même pas de traduction. Un vernaculaire étrange, surprenant, qui trouve son explication dans ce lieu hors du commun.
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Un peu d’histoire
Bâti en 1935, cet ancien silo à grain a été construit pour remplir une unique fonction, celle du stockage de céréales pour la métropole de Kristiansand, en Norvège. Mais au fil des années, son activé diminue jusqu’à cesser totalement, laissant le bâtiment à l’abandon. Pour les autorités, il est cependant inconcevable de le laisser dépérir. En effet, derrière ce projet se trouve le studio Korsmo and Aarsland Architect, comptant parmi les pionniers du fonctionnalisme norvégien.
Basé sur une réaction en opposition à l’ornementation des décennies précédentes, considérée comme excessive, ce mouvement se veut avant tout une quête de l’harmonie entre l’architecture de l’espace bâti et la fonction à laquelle il doit répondre. Un emblème qu’il faut sauver donc, et auquel il faut désormais attribuer un nouveau rôle. Penser l’avenir de cet héritage devient alors une priorité pour la ville.
À cette période, le collectionneur et mécène norvégien Nicolai Tangen recherche un espace d’exposition pour rendre son imposante collection privée accessible au public. Ainsi nait L’idée de transformer le silo en un musée accueillant quelque 5500 œuvres.
La commune lance un concours international d’architecture en 2016, auquel répondent une centaine de projets sont proposés, soumis par des studios du monde entier. La proposition qui convainc le jury ? Celle émise conjointement par Mestres Wåge Arquitectes, BAX Studio et Mendoza Partida.
Adapter, préserver, différencier
L’un des enjeux principaux de la transformation du bâtiment réside dans l’équilibre à trouver entre la préservation du bâti originel et l’adaptation aux nouveaux besoins de l’espace. « L’une des principales difficultés inhérentes à ce projet réside dans le fait que le silo est un bâtiment historique protégé, confie Magnus Wåge, fondateur de Mestres Wåge Arquitectes. Notre intervention devait donc s’inscrire dans certaines règles et normes. La seconde difficulté majeure est tout simplement le bâtiment en lui-même et la fonction pour laquelle il a été dessiné. Ce n’est en aucun cas un espace qui a été pensé pour accueillir des personnes. La question était donc de savoir comment le transformer en préservant les éléments protégés tout en le rendant accessible au public. »
La première étape consiste alors à créer des ouvertures sur l’extérieur et à imaginer les espaces d’exposition et de circulation autour du centre du bâtiment, où se trouve le silo en question. Des fenêtres sont percées, permettant d’amener la lumière dans l’espace et d’offrir une vue sur l’océan, tandis que le rez-de-chaussée est pensé comme un hall ouvert, accessible à tous.
« Le plus gros du travail a été de simplifier ce véritable labyrinthe, ajoute l’architecte. Se repérer dans un musée est capital pour les visiteurs, et le bâtiment originel rendait cela impossible. Il a donc fallu épurer l’espace, créer des zones de circulations. Un autre élément capital pour nous réside dans la différenciation entre les éléments originaux et notre intervention. Nous avons volontairement choisi de mettre en exergue les travaux réalisés pour permettre aux visiteurs de faire la distinction entre l’édifice original et notre travail de transformation. »
Ayant été bâti dans les années 1930, le silo a également dû subir quelques travaux de renforcement. Son enveloppe extérieure, elle, devait restée intacte. Une décision partagée par les architectes. En effet, pour Magnus Wåge, l’histoire du silo se lit également sur sa façade. « Le béton de l’époque n’était pas le même qu’aujourd’hui. À l’extérieur l’usure liée aux intempéries, les traces du temps sont toujours visibles. Nous voulions à tout prix ces éléments authentiques. »
Du grain à l’art
Un espace qu’il a fallu réinventer pour accueillir les visiteurs du musée, mais aussi ses œuvres d’art. Riche d’environ 5500 œuvres créées par plus de 300 artistes, la Tangen Collection of Nordic Art se focalise sur l’art scandinave et notamment la création artistique de la première moitié du XXe siècle, période de construction du silo. Mais pour les architectes en charge du projet, malgré les nombreuses transformations apportées au bâtiment, l’installation d’œuvres d’art dans un espace si complexe reste une problématique importante.
« Le dialogue avec le fondateur, le collectionneur et mécène Nicolai Tangen, et les équipes de la collection a été très important dans la réalisation du projet, ajoute Magnus Wåge. Son architecture a beaucoup de personnalité et ses espaces sont très singuliers. Pour cette raison, notre projet initial proposait la construction de deux nouvelles ailes adjacentes. Des bâtiments neufs pensés dans la tradition muséale architecturale, une sorte de « white cube« pouvant accueillir des pièces ayant ici toute la liberté de s’exprimer. Dans le Silo en lui-même, la sélection curatoriale a été pensée de manière à faire entrer les œuvres en dialogue avec l’architecture. Il n’est pas donné à toutes les toiles de pouvoir se démarquer dans un espace si fort. »
Le musée ouvrait ses portes en mai dernier, accompagné d’une première exposition intitulée « Passions of the North », présentant 700 œuvres de la collection Tangen. Depuis le 27 septembre, les visiteurs sont invités à découvrir « Playing with Fire », un événement consacré aux céramistes Edmund de Waal and Axel Salto, à découvrir dans cet emblème de l’architecture fonctionnaliste qui a trouvé sa seconde vie.
> Musée KunstSilo, Sjølystveien 8, Kristiansand, Norvège. Plus d’informations ici.
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