Ouvert en mai 2024, le musée norvégien Kunstsilo, à Kristiansand, réinvente la relation entre architecture moderniste et création contemporaine.
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L’icône moderniste réinventée
Figures de proue du mouvement fonctionnaliste en Norvège, les architectes Arne Korsmo et Sverre Aasland bâtissent le silo à grains de Kristiansand en 1935, sur l’île d’Odderøya. Les extensions du site en 1939 et 1956 ont aidé la population à protéger les précieuses réserves de vivres, notamment lors de l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale.

Fermée au début des années 2000, la belle endormie se réveille en 2015, après l’annonce du legs de 5 000 œuvres d’art nordiques du financier norvégien Nicolai Tangen à sa ville natale. Un concours international est alors lancé pour réhabiliter le silo, remporté l’année suivante par Mestres Wåge, en collaboration avec Mendoza Partida et BAX Studio.
Tourné vers la ville et ses habitants, le projet promet de rendre hommage à l’histoire des lieux tout en s’ouvrant aux préoccupations contemporaines. « Notre approche est contextuelle, plastique et pragmatique […]. Notre travail met l’accent sur l’architecture comme créatrice d’environnements », avaient alors déclaré les architectes du studio Mestres Wåge lors de l’inauguration du musée.
Au cœur du Kunstsilo – littéralement « silo d’art » –, le hall forme un vertigineux espace en creux de 21 mètres de haut, dont la courbe des cylindres rappelle l’enfilade de colonnades des cathédrales gothiques. Le brutalisme du béton est assoupli par des syncopes visuelles, créées au gré d’ouvertures vers le ciel, de plateformes en verre et de points de fuite sur le paysage extérieur. Les marques de coffrage et les surfaces usées par les grains, toujours lisibles sur les éléments historiques, témoignent d’un autre temps.

Autre leitmotiv du lieu, certains motifs en quadrillage (balustrades en verre, panneaux du restaurant…) font écho au plan de la ville, bâtie pendant la Renaissance par le roi danois Christian IV. Au sommet de l’édifice, la terrasse panoramique offre de sublimes vues sur la baie de Skagerrak. « Nous voulons faire de ce lieu le nouveau phare culturel de Kristiansand », explique la directrice des collections Else-Brit Kroneberg, suivant du regard le phare historique situé à la pointe de l’île.
Le silo, creuset du futur
Si la décision d’investir un silo à grains pour en faire un lieu d’art peut aujourd’hui paraître osée, il faut se souvenir que ces structures sont à l’origine d’une révolution industrielle et artistique qui a largement œuvré à la création de nos sociétés contemporaines.

Symboles d’une nouvelle donne portée par le capitalisme aux États-Unis, les clichés d’usines et de silos à grains de Walter Gropius, publiés dans l’annuaire 1913 de l’association moderniste allemande Deutscher Werkbund, ont eu un impact significatif sur le développement de l’architecture fonctionnelle en Europe.
Fasciné par cette réorganisation de la société et par les possibilités infinies offertes par le béton, Le Corbusier reprend des images de Gropius dans son journal L’Esprit nouveau, avant de consacrer aux silos la première partie de son traité iconique Vers une architecture, en 1923. « Voici des silos et des usines américaines, magnifiques prémices du nouveau temps », écrivait-il.

Korsmo et Aasland, admirateurs de Le Corbusier, s’engouffreront dans cette voie, avant de laisser Mestres Wåge compléter, quatre-vingt-dix ans après, la vision du maître franco-suisse d’une architecture comme « un fait d’art, un phénomène d’émotion, en dehors des questions de construction ».
Récemment, l’exposition croisée entre le céramiste danois Axel Salto et l’artiste anglais Edmund de Waal, commissionnée par ce dernier, révélait tout le potentiel d’un héritage culturel contextualisé par un œil contemporain.

Actuellement, les peintures d’Else Hagen des années 1940-1950 questionnent le rôle des genres au sein du cocon familial tandis que, plus loin dans les étages, la vidéo d’Elina Brotherus mêle art digital et musique, en collaboration avec Kilden, le centre philharmonique situé à quelques mètres de là.
Un an après son ouverture, le Kunstsilo a prouvé sa capacité à rester fidèle aux principes qui l’ont vu naître: un emblème des temps modernes, résolument tourné vers le futur.
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