Jeunes designers : Studioparisien, la décoration effervescente

L’architecte d’intérieur Laurene B. Tardrew et le designer Romain Jourdan, de Studioparisien, créent des boutiques, des vitrines, des restaurants, des scénographies et du mobilier. Cartier, Boghossian, Karl Lagerfeld, Loris Azzaro… Leurs prestigieux clients les font collaborer avec la crème des artisans dans un monde du luxe en pleine révolution. Un duo aussi dynamique que curieux.

Depuis une douzaine d’années, l’un de leurs clients s’appelle Cartier… pour qui ils ont conçu un présentoir pour le parfum L’Eau, avant que le joaillier du groupe Richemont ne leur confie un meuble, une pièce, un espace, deux corners et un étage au sein des univers conçus par l’architecte Bruno Moinard. Ce dernier, Laurene et Romain le voient comme un mentor surfin. Lors du Salon international de la haute horlogerie, les pavillons à la circulation fluide scénographiés par Studioparisien pour Cartier plaisent au président, qui leur demande de les adapter en boutiques.

Comme l’agence 4BI, de Bruno Moinard, ou Laura Gonzalez, ils sont intervenus sur la boutique Cartier de trois étages au 13, rue de la Paix. Autant d’occasions de faire appel à des artisans d’art, comme le designer textile Luc Druez. Quand Cartier a eu besoin d’un sofa, Studioparisien s’est inspiré de la panthère fétiche de la maison pour fabriquer, dans les ateliers Jouffre, à Villeurbanne, leur fauteuil Panther. « Nous faisons des meubles complexes liés à des scénarios précis. Les dessins racontent la maison, les souhaits du président, du marketing, de la communication et de la direction des produits. À nous de retranscrire ces éléments en architecture », analyse Romain.

Au Salon international de la haute horlogerie à Genève, Studioparisien a signé l’espace Cartier.
Au Salon international de la haute horlogerie à Genève, Studioparisien a signé l’espace Cartier. DR

Hommage seventies

Au mur de leur agence, la suspension Fragment illustre la collaboration menée avec le joaillier Albert Boghossian. Pour expliquer l’esprit de sa future boutique à Genève, ce collectionneur d’art leur montre une image fuyante du peintre ­Gerhard Richter. Studioparisien la traduit en sculpture en mêlant laiton, cristal de roche et albâtre, rappelant les inserts qui singularisent le serti des pierres. La broche évoque l’effet essuyé-passé de la toile de l’artiste allemand.

Pour Loris Azzaro, comment raviver l’esprit du quartier général sans le couturier qui l’avait dessiné ? Comment faire un endroit célébrant les seventies et la sensualité féline des robes-bijoux d’Azzaro ? L’étage de la première boutique ruisselait de miroirs. Studioparisien a redessiné les lieux comme un hommage. Du noir, du gris, de la laque glossy, de l’Inox poli miroir, des tissus à thème animalier, tout pour pérenniser la décennie 70.

Studioparisien a redessiné la boutique Azzaro Couture de la rue du Faubourg-Saint-Honoré comme un hommage à son créateur et aux années 70.
Studioparisien a redessiné la boutique Azzaro Couture de la rue du Faubourg-Saint-Honoré comme un hommage à son créateur et aux années 70. DR

Le facteur humain

Le premier des défis est de faire accepter sa vision. Puis vient le cahier des charges à respecter. Pour Romain, ces contraintes sont normales. Pour Laurene, « les solutions hybrides marchent assez bien si tout le monde prend des risques. » Romain renchérit : « Thierry Vigneron, l’actuel président de Cartier, n’est pas là pour nous freiner. Et puis, la mise en danger, c’est toujours de façon calculée. » D’un côté, il y a la création, de l’autre, le business. Romain milite pour la liberté de création, il déteste l’exécution. Les clients en tout cas sont fidèles, comme Gas Bijoux, dont ils ont fait les boutiques.

Le facteur humain que Studioparisien revendique n’est pas qu’une formule. Le Grand Café d’Athènes est né comme ça : quand les chefs Chloé Monchalin et Benjamin Rousselet montent ce restaurant, rue du Faubourg-Saint-Denis, c’est à Studioparisien qu’ils pensent, car ils connaissent Romain en tant qu’habitué. Banco ! L’ambiance sera grecque, mais pas blanche et bleue, plutôt ocre et céladon, suggérant les oliviers. Pas d’overdose de laiton qui « cheap-ise » le projet, dit Romain.

Le Grand Café d’Athènes, rue du Faubourg-Saint-Denis, à Paris. Quand les chefs Chloé Monchalin et Benjamin Rousselet ont monté ce restaurant, ils se sont adressés à Romain Jourdan, qui était déjà un de leurs clients.
Le Grand Café d’Athènes, rue du Faubourg-Saint-Denis, à Paris. Quand les chefs Chloé Monchalin et Benjamin Rousselet ont monté ce restaurant, ils se sont adressés à Romain Jourdan, qui était déjà un de leurs clients. Sophia van den Hoek

Des espaces sensés

Pour le groupe Blackcode, Studioparisien imagine l’Orient Extrême Montaigne, rue Bayard et Yoko, rue de la Bourse. Si nous sommes au fait des restaurants décorés par les architectes d’intérieur depuis les premières signatures de Philippe Starck dans les eighties, ce n’est que plus tard, avec les designers, que l’on s’est intéressé aux boutiques-galeries conçues par des têtes de file comme l’Américain Peter Marino.

Ce monde, le retail, n’en finit pas de bouger. Selon Romain, une boutique de luxe n’est pas un endroit saturé d’objets, mais un lieu où l’on reçoit. « Aujourd’hui, une boutique, c’est un intérieur comme chez quelqu’un qui aime la décoration et les métiers d’art. Cela se ressent jusque sur la table basse où l’on vous offre un café. Il y a moins de produits, mais plus de visibilité de la marque », dit-il.

Dans certaines d’entre elles, des clients peuvent passer une nuit. Au K11, à Hongkong, Bruno Moinard a aménagé pour Cartier deux étages, Laura Gonzalez, un appartement, et Studioparisien, un autre appartement, avec toit-terrasse. Reste à éviter de faire des espaces vides de sens, l’enfer pour eux. Si les gens préfèrent aller chez Cartier sur les Champs-Élysées, c’est peut-être parce qu’ils y vivent une expérience dont personne ne mesure sinon l’intensité, l’exacte profondeur.