Depuis 25 ans, Jaime Hayón flirte avec les frontières de l’art et du design. Pour fêter l’événement, le célèbre grand magasin de luxe londonien Fortnum & Mason a invité l’artiste à s’emparer de sa vitrine principale, en plein cœur de Mayfair. Un honneur que le Madrilène ne prend pas à la légère. “Il n’y a rien à vendre, ni pour eux ni pour moi ! rappelle-t-il. Ce magasin historique est réputé pour travailler avec les meilleurs artisans et proposer des produits de la plus grande qualité. J’ai donc voulu mettre en avant des objets artisanaux, dont chaque pièce a demandé aux équipes de repousser les limites techniques d’une discipline, tout en s’imprégnant de nombreux folklores et traditions.”
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Une mini rétrospective chez Fortnum & Mason
Parmi les pièces exposées sur Piccadilly, deux vases de la série Afrikando, produits en verre soufflé de Murano, invoquent le pouvoir quasi mystique des masques africains, tandis que Faunacrystopolis, réalisé pour Baccarat, évoque un bestiaire fantastique. “Ces objets témoignent de ce que je suis devenu”, avoue Jaime Hayón, le regard tourné vers sa mini rétrospective. À l’autre bout de cette frise peu commune, le cactus doré intitulé Mediterranean Digital Baroque rend hommage à sa toute première exposition, chez le galeriste anglais David Gill, en octobre 2003.
Si le travail du Madrilène semble de plus en plus tourné vers l’art, l’artiste-designer réfute l’idée d’un nouveau départ. “J’ai toujours travaillé à la frontière de l’art et du design, sans me poser de questions… Je me suis récemment intéressé à d’autres médiums, comme la peinture, mais l’intention est restée la même. Il s’agit d’explorer mon imagination.” Il reconnaît en revanche que les mondes de l’art et du design ont évolué ces dix dernières années : “Beaucoup de designers ont commencé à auto-produire des objets en série limitée et à travailler comme des artistes, débarrassés des impératifs des industriels. Le monde de l’art est quant à lui devenu plus commercial.”
Dans l’atrium de Fortnum & Mason, Malabarista, la gigantesque installation d’un homme qui jongle avec des étoiles, reprend cette idée de manipulation des différentes disciplines artistiques comme véhicules porteurs d’un processus créatif. “Cette installation représente mes centres d’intérêt et ma manière de fonctionner en tant qu’artiste. Tout est une question d’équilibre entre le jeu – et notre capacité à saisir une opportunité – et le contrôle. C’est l’idée de la marionnette retenue par des fils, à la fois maîtresse de son destin et assujettie à son environnement”, explique Jaime Hayón.
La part d’ombre de Jaime Hayón
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les objets multicolores aux formes enfantines de l’artiste sont loin de la tendance kawaii japonaise, qui s’extasie devant ce qui est jugé “mignon”. Smilo vous fait sourire ? “Il a pourtant fallu lui graver son rictus au couteau dans le bois !” plaisante Hayón. Les oreilles surdimensionnées du Listener appellent autant à écouter son prochain qu’à s’en détacher, les yeux tournés vers notre propre monde intérieur. La palette ultra colorée et les formes ludiques, qui ont rendu l’artiste si populaire, révèlent être un moyen d’atténuer une réalité plus sombre, tapie sous une apparence ultra fardée. On regarde alors autrement la céramique Embraced, réalisée pour la marque Lladró pendant la pandémie, ou encore le porte-manteau en forme de singe qui tente de récupérer des bananes, évocation en demi-teinte de l’esthétique colonialiste marquée par l’asservissement.
Pour l’heure, Jaime Hayón se concentre sur la production de nouvelles peintures, en vue d’une exposition qui se tiendra à la galerie Mindy Solomon de Miami et dont les dates coïncideront avec la Foire de décembre. “Je n’ai aucune idée de ce que mes peintures veulent dire. Un jour, en expliquant une œuvre à mon psy, je me suis rendu compte que je parlais d’un moment de rupture difficile survenue quelques années plus tôt. Peindre donne le sentiment de se retrouver face à un miroir, il n’y a pas d’autre choix que d’être sincère.” Affaire à suivre.
> Celebrations 1, Fortnum & Mason, 181 Piccadilly, St. James’s, à Londres. Plus d’infos sur le London Design Festival, qui a lieu jusqu’au 22 septembre 2024, ici.
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