De ses débuts aux côtés d’Oliviero Toscani à ses collaborations phares (&Tradition, Cassina, Magis, Metalarte, Fritz Hansen…) en passant par l’aménagement d’hôtels (l’Art’otel Battersea Power Station à Londres, Bangkok Standard, Barcelo Torre de Madrid…), Jaime Hayon a su imposer une grammaire visuelle ludique et sophistiquée, mêlant références au surréalisme, folklore, artisanats et innovations techniques. Pour lui, le design est un langage, une narration, une invitation à l’émerveillement. Rencontre avec un créateur qui défie les cases.
À lire aussi : Jaime Hayon rejoue le carnaval des animaux chez Baccarat
Jaime Hayon ou l’art de raconter des histoires
IDEAT : Avec le recul, quels ont été les moments clefs de votre carrière ?
Jaime Hayon : Dès 1997, mon travail précoce à Fabrica, à Trévise, sous la direction d’Oliviero Toscani a indéniablement façonné ma vision créative, m’enseignant l’importance des idées et du storytelling. L’exposition « Mediterranean Digital Baroque » à la David Gill Gallery à Londres en 2003 a aussi été un tournant, établissant mon identité en tant que designer brouillant les frontières entre l’art et le design.

Puis, des collaborations avec des marques comme Lladró, Baccarat et Fritz Hansen ont également joué un rôle crucial en me permettant d’explorer l’artisanat au plus haut niveau et en me confrontant, notamment, à la porcelaine et au cristal. Plus récemment, des projets comme mon exposition de peintures et sculptures Bestial et mon travail à venir avec Louis Vuitton ont renforcé mon approche, mêlant imagination, fantaisie et artisanat d’exception.
IDEAT : Comment a évolué la philosophie de votre studio au fil des années ?
Jaime Hayon : Mon studio repose sur trois piliers : créativité, artisanat et esprit ludique. Dès le début, j’ai voulu briser les conventions et créer des œuvres qui suscitent des émotions – que ce soit à travers des meubles, des sculptures ou des espaces entiers. Au fil des années, cette philosophie a évolué avec une plus grande emphase sur le storytelling et des liens plus profonds avec les matériaux, l’héritage et la durabilité. Mon approche est devenue plus affinée, mais l’essence reste la même : apporter de la joie, de la curiosité et un sentiment d’émerveillement dans le monde du design.
IDEAT : Comment l’art et le design coexistent-ils dans votre travail ?
Jaime Hayon : Pour moi, l’art et le design ne sont pas séparés, ils se nourrissent l’un de l’autre. L’art me permet d’explorer des émotions, des symboles et des concepts abstraits, tandis que le design ancre ces idées dans la fonction et l’artisanat. Je vois mon travail comme un équilibre : utiliser la liberté de l’expression artistique pour challenger les contraintes du design, et utiliser la rigueur du design pour donner une structure aux idées artistiques. C’est pourquoi mon travail peut exister à la fois dans une galerie, dans des intérieurs privés et dans des espaces publics.

IDEAT : Quels artistes ou mouvements artistiques continuent de vous nourrir ?
Jaime Hayon : Le surréalisme a toujours été une influence majeure : les mondes oniriques de Dalí, l’abstraction ludique de Miró, et la capacité de Picasso à réinventer la forme. Le mouvement Memphis m’a également marqué, avec son usage audacieux des couleurs et des formes. Au-delà de cela, les traditions artisanales du monde entier me fascinent, des céramiques espagnoles aux laques japonaises.
Ces références m’inspirent à repousser les limites, que ce soit à travers la forme, la couleur ou la technique, tout en gardant le storytelling au cœur de mon approche. L’inspiration est partout : voyages, nature, histoire de l’art, objets du quotidien… J’aime rechercher des savoir-faire et des traditions folkloriques de différentes cultures, car elles portent des récits profonds et un lien humain universel. Dans le même temps, le surréalisme et l’humour me permettent d’ajouter un élément de surprise et d’émotion. Mon processus est intuitif : je laisse les idées évoluer naturellement, souvent en commençant par des croquis où mon imagination peut s’exprimer librement.
IDEAT : Valence, où vous êtes installé depuis plus de dix ans, influence-t-elle votre travail ?
Jaime Hayon : Cette ville m’a offert de l’espace – physiquement et mentalement – pour développer mon travail de manière significative. L’atmosphère méditerranéenne, la lumière, les traditions et l’artisanat sont devenus partie intégrante de mon ADN créatif. Il y a ici une forte culture de la céramique, qui a influencé de nombreux projets que j’ai réalisés. L’équilibre entre histoire et modernité, l’énergie vibrante de la ville et son lien avec la nature ont également joué un rôle essentiel dans l’évolution de mon approche.
« L’artisanat nous relie à l’histoire, aux matériaux et à la créativité humaine d’une manière que les outils numériques ne peuvent pas remplacer. »
IDEAT : Vous avez participé aux efforts de reconstruction après les inondations. Cette expérience a-t-elle façonné votre regard sur le rôle social et environnemental du design ?
Jaime Hayon : Cette expérience a renforcé ma conviction que le design doit aller au-delà de l’esthétique, il a le pouvoir d’avoir un impact concret sur la société. Elle m’a montré l’importance de la résilience, de la communauté et de la durabilité. Les designers ont la responsabilité de créer des solutions qui ne sont pas seulement belles, mais aussi fonctionnelles, durables et respectueuses de l’environnement.
IDEAT : Est-ce aussi la raison pour laquelle l’exposition « Bestial », présentée durant la Miami Art Week en décembre dernier, explore plus particulièrement la relation entre l’humanité et la nature ?
Jaime Hayon : La nature a toujours été une source d’inspiration, mais aujourd’hui, la relation entre les humains et le monde naturel est plus pertinente que jamais. « Bestial » explore ce lien, en utilisant les animaux comme des métaphores des émotions, des instincts et de notre interaction avec notre environnement. Les animaux ont un langage universel – ils permettent d’exprimer des récits d’une manière qui résonne à travers les cultures. Dans mon travail, ils apportent une touche de jeu et de mystère, tout en incitant à une réflexion sur des thèmes plus profonds.

IDEAT : Quel rôle joue l’innovation technologique dans votre travail ?
Jaime Hayon : La technologie est un outil, mais pas un substitut à l’artisanat. J’utilise des techniques numériques pour le prototypage et la visualisation, mais l’âme de mon travail vient du geste humain. Le défi est d’utiliser la technologie d’une manière qui valorise les techniques traditionnelles, plutôt que de les remplacer. Travailler avec des artisans est essentiel : ils apportent des siècles de savoir-faire, et leurs mains donnent vie aux pièces.
Ces collaborations sont comme des dialogues, où la tradition rencontre des idées contemporaines pour créer quelque chose d’unique. L’artisanat nous relie à l’histoire, aux matériaux et à la créativité humaine d’une manière que les outils numériques ne peuvent pas remplacer. Il y aura toujours un besoin d’authenticité, d’unicité et de textures sensorielles, que seuls les objets faits à la main peuvent offrir.
> Site internet de Jaime Hayon ici
À lire aussi : Le génial Jaime Hayón expose 25 ans de création