Interview : Isay Weinfeld, l’architecte cinéaste

Si les maîtres du modernisme brésilien, Oscar Niemeyer en tête, ont profondément marqué l’histoire de l’architecture du XXe siècle, on connaît moins la scène contemporaine. Isay Weinfeld, 67 ans, fait partie de ceux qui ont su s’émanciper de cet héritage parfois pesant et se forger une renommée internationale. Ses réalisations sonnent comme un juste équilibre entre une écriture franche, l’exaltation du contexte tropical et une relation directe à l’extérieur. Prolifique, Isay Weinfeld est architecte mais aussi cinéaste. Il parle rarement de son travail mais, depuis São Paulo, où il vit, il a bien voulu répondre aux questions d'IDEAT.

 

Vous êtes également cinéaste. Comment avez-vous découvert ce langage artistique et pourquoi occupe-t-il une place si importante dans votre pratique ?
Isay Weinfeld : Quand j’avais 14 ans, mon professeur de portugais a loué le film d’Ingmar Bergman Les Fraises sauvages afin de le projeter en classe. Ma vie en a été transformée. J’étais fasciné. C’est ainsi que j’ai découvert le cinéma. Quelques années plus tard, je me suis moi même essayé au tournage. Comme je vous l’ai dit, j’ai toujours ressenti le besoin de m’exprimer par différents moyens et je suis très heureux d’avoir pu oeuvrer dans des champs créatifs aussi divers, de l’architecture au cinéma, du design de mobilier aux arts visuels. Mais, si l’influence d’un domaine sur l’autre apparaît clairement dans mon travail – j’entends dire, en effet, que mon architecture est cinématographique et que mon cinéma est architectural –, c’est peut-être également parce que mon esprit fonctionne toujours de la même façon, peu importe ce que je fais ou crée. Par exemple, quand je guide un visiteur d’une pièce à l’autre dans un bâtiment ou un spectateur scène par scène à travers un film, ce qui m’intéresse le plus, c’est d’être capable de susciter des émotions.

La Casa Cubo, une résidence pour artistes réalisée à l’initiative d’un couple de collectionneurs (São Paulo, 2007).
La Casa Cubo, une résidence pour artistes réalisée à l’initiative d’un couple de collectionneurs (São Paulo, 2007). © FERNANDO GUERRA

Quel est, selon vous, le but de l’architecture ? Et le rôle des architectes dans nos sociétés contemporaines ?
Je pense que la mission de l’architecture est d’offrir un abri aux personnes et aux activités en tenant compte de la fonctionnalité et de la technique mais aussi en faisant preuve d’une certaine sensibilité pour la couleur, la lumière, les textures, l’échelle, les proportions… De mon point de vue, les architectes ont une obligation – évidente – envers les demandes de leurs clients mais aussi envers le site où ils construisent – que ce soit en ville ou en pleine nature – et envers la planète, par des solutions durables. En respectant l’ensemble de ces engagements, ils contribuent selon moi à une société plus responsable.

A gauche, la librairie Livraria da Vila, créée dans une ancienne maison de deux étages rénovée (São Paulo, 2007). A droite, la Yucatan House, une villa dessinée par Isay Weinfeld pour un couple de collectionneurs d’art contemporain et leurs trois enfants (São Paulo, 2009).
A gauche, la librairie Livraria da Vila, créée dans une ancienne maison de deux étages rénovée (São Paulo, 2007). A droite, la Yucatan House, une villa dessinée par Isay Weinfeld pour un couple de collectionneurs d’art contemporain et leurs trois enfants (São Paulo, 2009). © LEONARDO FINOTTI / fernando-guerra

Les critiques vous sont-elles utiles ?
Elles ne m’intéressent pas vraiment, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Le seul que j’écouterais volontiers serait Jacques Tati, le meilleur critique d’architecture !

Connaissez-vous la France et aimeriez-vous y construire ?
J’y suis allé de nombreuses fois et j’adore ce pays. J’aimerais bien sûr y construire, mais il faudrait pour cela qu’on me demande de réfléchir à un projet pour lequel je me sentirais capable de répondre de façon adéquate.

Transformation d’une villa en un magasin de meubles Dpot (São Paulo, 2015).
Transformation d’une villa en un magasin de meubles Dpot (São Paulo, 2015). © FERNANDO GUERRA

Êtes-vous optimiste quant à l’avenir de votre pays ?
Oui. Il ne fait aucun doute que des temps difficiles sont encore devant nous, mais j’ai le sentiment que, ces dernières années, la société est devenue plus active et davantage impliquée dans les sujets comme la politique, l’éducation, les droits civiques… On n’avait jamais connu un tel niveau d’engagement auparavant. Et nous ne pouvons quand même pas revenir en arrière sur tout ce que nous avons déjà vaincu. Je veux parler des discriminations de toutes sortes : race, genre, religion, handicap. Pas seulement au Brésil, mais dans le monde entier. Donc, oui, je suis plutôt optimiste.

Thématiques associées