Interview : Irina Kromayer, de costumière à architecte d’intérieur

Propulsée au sommet grâce à l'hôtel Château Royal, Irina Kromayer a d'abord été costumière au théâtre et décoratrice de films avant de jeter son dévolu sur l'architecture d'intérieur. Rencontre.

Rencontre avec l’architecte d’intérieur Irina Kromayer dont le nom, longtemps resté confidentiel, est dorénavant sur toutes les lèvres depuis l’aménagement si réussi de l’hôtel Château Royal à Berlin. Installé dans un bâtiment emblématique de l’architecture de l’ex-RDA, en plein coeur du Mitte cultivé, son studio aux murs et plafond en béton brut est un parfait exemple de son regard respectueux, mais non nostalgique, sur le contexte historique de la ville.


À lire aussi : Interview : Marc Newson à livre ouvert


IDEAT : On associe aujourd’hui instantanément votre nom à l’aménagement de l’hôtel Chateau Royal, mais vous avez aussi été décoratrice pour le cinéma. Quel a été votre parcours ?

Irina Kromayer : J’étais très intéressée par la mode et ai commencé par être assistante costumière au théâtre ainsi que sur un film produit par l’école de cinéma de Munich, ce qui m’a permis de découvrir le travail de décorateur dont j’ignorais tout, et que j’ai trouvé très cool. Mais il n’y avait pas à l’époque, en Allemagne en tout cas, de formation dédiée.

Portrait d’Irina Kromayer dans son studio aux murs de béton situé à Mitté, à Berlin. © Felix Brüggemann
Portrait d’Irina Kromayer dans son studio aux murs de béton situé à Mitté, à Berlin. © Felix Brüggemann

J’ai donc étudié l’architecture d’intérieur à Munich, puis fait un master au Pratt Institute. À New York, je travaillais sur des tournages le jour et réalisais des projets pour une agence d’architecture la nuit. Puis, en 2000, une production allemande qui tournait aux États-Unis m’a proposé d’emménager à Berlin pour collaborer  avec eux. Voici comment je suis arrivée ici.

IDEAT : Qu’est-ce qui a fait que vous avez, à un moment, plus renoué avec l’architecture intérieure ?

Irina Kromayer : Pendant 15 ans, j’ai travaillé sur toutes sortes de films, du cinéma à la publicité. Je passais mon temps à voyager, mais une fois devenue mère, savoir que mes enfants devaient rester avec une jeune fille au pair pendant que j’étais à l’autre bout du monde me brisait le cœur. J’ai donc arrêté. Par chance, au même moment, l’un de mes amis, Stephan Landwehr [à qui l’on doit également aujourd’hui l’ouverture de l’hôtel Chateau Royal  Ndlr] a décidé d’ouvrir un restaurant : j’ai alors conçu Grill Royal avec lui.

La façade de l’hôtel Château Royal. © Felix Brüggemann
La façade de l’hôtel Château Royal. © Felix Brüggemann

Le succès du lieu m’a sortie de l’ombre. J’ai reçu de plus en plus de commandes, dont l’aménagement du restaurant Phoenix à Düsseldorf. À cette occasion, j’ai commencé à collaborer avec l’architecte suisse Etienne Descloux, avec qui nous avons signé l’architecture intérieure du Château Royal. Ensemble, Nnus essayons de conserver un bureau de petite taille afin de pouvoir nous concentrer sur les projets qui nous intéressent.

IDEAT : Combien de projets réalisez-vous par an ?

Irina Kromayer : De un à quatre, selon la taille. Le Château Royal était un gros projet :  93 chambres de 26 configurations différentes. La complexité résultait également du fait que l’hôtel occupe deux bâtiments historiques protégés ainsi qu’une extension contemporaine signée David Chipperfield.

IDEAT : Combien de temps a duré le chantier?

Irina Kromayer : Trois ans et demi. Le Covid a été une chance pour nous, car cela a ralenti le processus de construction et nous a donné plus de temps pour aborder les détails, trouver des solutions pour réaliser quelque chose de beau qui rentre dans le budget. Nous nous sommes rendus compte que si nous voulions acheter les meubles qui nous semblaient intéressants, le prix serait trop élevé. Le choix était donc simple : nous contenter de pièces standards, plus abordables, ou les dessiner et les faire produire nous-mêmes. Nous avons opté pour la seconde option.

93 chambres de 26 configurations différentes, des bâtiments historiques protégés, 3 ans et demi de chantier : le Château Royal était un projet de taille pour Irina Kromayer. © Felix Brüggemann
93 chambres de 26 configurations différentes, des bâtiments historiques protégés, 3 ans et demi de chantier : le Château Royal était un projet de taille pour Irina Kromayer. © Felix Brüggemann

IDEAT : Vous avez donc également dessiné le mobilier ?

Irina Kromayer : Nous avons réalisé les plan, développé un système d’aménagement et défini une sélection de matériaux – bois, carrelage, sols – qui puissent être adaptés aux différents agencements des chambres. Nous avons dessiné les lits, les tables de nuit, les lampes et demandé au designer Christian Haas de concevoir le reste du mobilier présent dans les suites.

IDEAT : Quel était le brief de ce projet ?

Irina Kromayer : Nous avons élaboré le brief en communion avec le client. Château Royal est un hôtel et donc, par définition, un lieu qui accueille des touristes, des personnes qui ne connaissent pas toujours Berlin. L’idée était de leur offrir une expérience différente de celle qu’ils pourraient avoir à Milan ou à Amsterdam, car à l’ère d’Instagram, tout a tendance à se ressembler.

Bois et céramique bleu canard au programme de l’hôtel Château Royal. © Felix Brüggemann
Bois et céramique bleu canard au programme de l’hôtel Château Royal. © Felix Brüggemann

Nous avons choisi de penser davantage en termes de régionalisme, d’utiliser des matériaux typiques de Berlin, ceux que l’on repère quand on y vit. Comme, par exemple, ces magnifiques carreaux des années 1920 que l’on retrouve dans le métro qui mène à la partie ouest de la ville. Les salles de bains sont ainsi carrelés avec ces classiques carreaux berlinois de 15 centimètres par 15 centimètres et les gammes de couleurs, traditionnelles mais sans nostalgie, ont été inspirées par l’audace de la peinture de cette époque : Paul Klee, les Expressionnistes…

IDEAT : Vous habitez à Berlin depuis 24 ans. En quoi la ville est elle différente aujourd’hui ?

Irina Kromayer : Quand je suis arrivé à Berlin, la capitale était en pleine transformation. Il y a eu des points positifs et d’autres moins : malheureusement, la nouvelle architecture résidentielle et commerciale est très médiocre. Beaucoup de ces bâtiments sont ennuyeux. Les mondes de l’art et de l’architecture sont un peu frustrés de voir une telle opportunité gâchée.

L’idée derrière Château Royal ? Proposer un univers unique et intimiste. © Felix Brüggemann
L’idée derrière Château Royal ? Proposer un univers unique et intimiste. © Felix Brüggemann

Il y a 24 ans, il était aisé de mettre la main sur de grands appartements au loyer très peu cher, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Néanmoins, les jeunes aiment toujours la ville et, contrairement à Barcelone ou Venise, ils peuvent encore choisir d’y vivre. Si je pose la question à mes enfants, ils me diront que Berlin est une ville géniale parce qu’elle est très diverse. Neukölnn vous transporte quelque part en Arabie, puis vous vous rendez à Charlottenburg, Prenzlauer Berg et c’est totalement différent. Dans la rue, toutes les langues se mélangent, ce qui unique en Allemagne.


À lire aussi : À la découverte du Bauhaus vivant : Un week-end dans les complexes d’habitations de Berlin