Séjourner dans un lieu pensé par un designer, ouvrir les yeux sur des œuvres accrochées aux murs, déguster son petit-déjeuner au milieu de sculptures et se prélasser au milieu de pièces en édition limitée… L’hospitalité haut de gamme connaît une profonde mutation. Si les palaces ont toujours cultivé un certain sens du décor, une nouvelle génération d’hôtels fait de l’art et du design un véritable moteur narratif. Voici ceux à tester.
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Une vieille romance entre l’art et l’hôtellerie
Si l’art s’invite aujourd’hui dans les hôtels avec une intensité nouvelle, le lien ne date pas d’hier. Dès les années 1920, les palaces européens s’emparent de l’art pour séduire une clientèle cosmopolite et cultivée – le Negresco à Nice, le Meurice et le Lutetia à Paris ou encore le Claridge’s à Londres qui a récemment été repensé par Bryan O’Sullivan. Ce qui change aujourd’hui, c’est moins la présence de l’art que sa fonction : il ne s’agit plus seulement d’orner, mais de raconter.



Le design devient un langage, l’accrochage une narration. Fraîchement ouverte, La Fondation (40 rue Legendre, Paris 17e) incarne, comme tant d’autres, ce nouveau visage de l’hôtellerie où l’on ne vient plus seulement passer la nuit. Sublimé par le duo star Roman & Williams, cet ancien garage et parking mêle architecture sculpturale, curation pointue signée Amélie du Chalard (Amélie Maison d’art), œuvres in situ, mobiliers sur-mesure et végétation suspendue.
Dormir dans une collection privée : l’hôtel comme cabinet d’amateur
Certains collectionneurs prennent même les rênes d’un projet hôtelier. Le séjour devient alors une immersion dans une vision artistique. Ainsi, le couple suisse Iwan et Manuela Wirth, fondateur de la galerie Hauser & Wirth, a imaginé un hôtel à leur image dans la campagne écossaise, le Fife Arms (Mar Rd à Braemar), ouvert en 2018. Ce manoir victorien aligne quelque 16 000 œuvres, de Pablo Picasso à Man Ray en passant par Lucian Freud et Louise Bourgeois, qui s’y répondent dans une mise en scène foisonnante.




À Lisbonne (Rua da Junqueira 66) un hôtel-musée à part entière de 64 chambres a ouvert ses portes en mars 2025. Le MACAM (pour Musée d’Art Contemporain Armando Martins) prend place dans un palais du XVIIIᵉ siècle acquis en 2008 par le promoteur et collectionneur portugais Armando Martins, avec l’ambition, assumée d’y exposer sa collection d’art moderne et contemporain portugais et international.
À Séville, La Casa del Limonero prend des allures plus confidentielles avec ses 14 chambres. Ce palais du XVe siècle abrite la collection personnelle d’une esthète française. Dans une atmosphère feutrée, les grands noms du design – Gio Ponti, Ettore Sottsass, Mattia Bonetti, Charles & Ray Eames, Arne Jacobsen – croisent les œuvres de Joana Vasconcelos, Manolo Valdés ou encore Abdoulaye Konaté. On y découvre aussi une pièce d’Olga de Amaral, des photos de Malick Sidibé, des lampes de Murano et des tapisseries anciennes.
Création en résidence
À rebours du simple décor, certains établissements s’inventent comme de véritables laboratoires artistiques.
À Paris, rue de Richelieu, Carine Tissot, directrice du Drawing Now Paris, lance dès 2017 le Drawing Hotel avec le duo d’architectes d’intérieur NIDO, qui fait dialoguer mobiliers de designers et créations d’artistes spécialement pensées pour les lieux, s’invitant sur les murs et les moquettes. Depuis, le Drawing house et le Miss Fueller complètent cette collection.




Après plus d’un an de travaux, La Folie Barbizon (située près de Fontainebleau dans la ville éponyme) révèle enfin sa mue, poussant l’idée de chambre-oeuvre un cran plus loin. Le groupe Chapitre Six – à l’origine notamment du renouvellement de La Ponche à Saint-Tropez et de l’Hôtel des Académies et des Arts à Paris – a confié ce projet à l’artiste et curatrice Sarah Valente, fondatrice de la Greenline Foundation – dédiée à la protection des forêts à travers l’art -, et à l’architecte d’intérieur Marion Collard.
Ensemble, elles orchestrent une métamorphose sensible : vingt-cinq artistes et designers investissent les chambres et espaces communs, chacun inspiré par Le Conte de Barbizon, récit poétique écrit pour l’occasion par Sarah Valente. On y croise des têtes de lit sculptées de Victor De Rossi, les chauve-souris en céramique de Cyril Debon, deux chambres totalement réalisées par le duo Pangea, des vitraux en peaux d’aubergines de Loumi Le Floc’h, ou des meubles sculptures d’Hugo Drubay.









Même approche à la Villa Médicis à Rome, qui poursuit depuis 2022 son programme « Réenchanter la Villa ». Après India Mahdavi, qui a restauré les chambres historiques, au tour des chambres d’hôtes de révéler leurs nouveaux aménagements sous l’impulsion de six designers et studios, parmi lesquels GGSV, Constance Guisset, Zanellato/Bortotto, associés à des artisans d’exception dont l’Atelier Veneer, Matthieu Lemarié, Incalmi. Bois, verre, papier sculptent un nouveau récit, entre mémoire renaissance et souffle contemporain.
L’artisanat en filigrane
Certains hôtels misent sur un luxe plus incarné, voire patrimonial, nourri par le geste. Loin de l’effet signature, l’esthétique de ces lieux s’appuie sur le savoir-faire d’artisans souvent locaux.



À Bordeaux, l’hôtel Yndo cultive cette philosophie. Imaginé par Agnès Guiot du Doignon dans un hôtel particulier du XIXe siècle, il compose un univers ultra-personnalisé, où chaque pièce raconte une rencontre. Les luminaires sculpturaux de William Guillon, les créations en papier de lin blanc de l’atelier Papier à Êtres, la serrurerie Bonnemazou-Cambus et les meubles sur-mesure dessinés par Sylvain Massicot donnent le ton. L’art contemporain s’invite ponctuellement sur les murs au fil d’expositions temporaires, dans une logique de curation discrète mais continue.
Même exigence à Venise, où le Londra Palace Venezia incarne l’art de vivre vénitien. Rénové par le studio Ruberti Cutillo, ce Relais & Châteaux valorise les savoir-faire ancestraux : tissus Rubelli, soieries Fortuny, miroirs gravés, lustres soufflés à Murano. Pour aller plus loin, l’hôtel propose aussi à ses clients des visites exclusives d’ateliers.
L’hôtel comme destination culturelle
En assumant un rôle culturel à part entière, les hôtels brouillent les frontières. On ne vient plus seulement y dormir, mais pour découvrir une collection, rencontrer des artistes en résidence comme à la Folie Barbizon et à la Villa Médicis, assister à des talks et à des expositions éphémères. Les hôteliers ne sont plus de simples gestionnaires mais des éditeurs d’univers et des programmateurs construisant des lieux à vivre autant qu’à explorer. L’hôtel devient une destination en soi.
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