Rencontre avec Philippe Chiambaretta de PCA Stream, autour de la question du digital, de la connectivité et de la data. L’architecte, qui est aussi à la tête de Think, le laboratoire de réflexion de l’agence, nous livre ses réflexions sur le sujet…
IDEAT : Pour vous, qu’est ce aujourd’hui que la connectivité ?
Philippe Chiambaretta : La question du digital se pose de plus en plus fortement dans notre quotidien. On le voit dans le travail, l’enseignement, la culture, l’art, à partir du moment où on n’a plus à être physiquement dans un espace… La connectivité, si on l’observe par le petit bout de la lorgnette, c’est la digitalisation de l’électroménager, un secteur industriel qui doit en permanence se renouveler et proposer des innovations comme le réfrigérateur intelligent ou l’aspirateur robot, tout ça pour « faire tourner la machine »… Mais ce phénomène est finalement assez anecdotique. Sinon, c’est envisager la data et son usage, et là c’est un sujet de débat. Par ce biais, on peut en venir à nos pratiques, qu’il s’agisse de l’urbanisme ou à l’échelle du bâtiment.
Comment envisagez-vous cette question ?
Philippe Chiambaretta : Chez PCA Stream, nous faisons une veille pour anticiper ce qui se prépare, notamment sur cette question de la data, un sujet que nous avons beaucoup étudié par le passé. On peut imaginer des maisons, des bureaux dotés de capteurs qui connaissent votre physiologie et qui adapteront en temps réel le degré de température, de lumière, d’ambiance… Comme une anticipation de vos besoins, selon l’heure de la journée, votre humeur… Des chercheurs au MIT travaillent déjà là dessus, et comme ils sont à l’avant-garde, il n’est pas impossible que cela arrive demain. C’est là le premier volet, avec ces capteurs qui permettent de conditionner l’environnement. Mais on peut aussi parler de murs écrans, pour qu’un décor devienne un espace de projection tridimensionnel.
Notre quotidien est donc imprégné et influencé par le digital ?
Philippe Chiambaretta : On voit bien qu’il existe une réflexion autour de la digitalisation de notre quotidien. Elle existait avant la pandémie, mais ce phénomène va être un accélérateur. Il y a une sorte de question générale qui se pose par rapport à la complémentarité et donc la différence entre espace physique et espace digital, et elle traverse tous les aspects de notre vie. Par exemple, en travaillant sur le projet Early Makers Hub de l’EM Lyon business school*, l’une des questions fondamentales que l’on se pose est : « Aura-t-on encore besoin d’espaces physiques ou ne ferons-nous demain que des cours à distance ? ».
* concours lancé en 2018 pour la conception d’un espace d’enseignement adapté à une nouvelle pédagogie pour les défis de demain, le Early Makers Hub.
Smart City et Smart Building, même combat ?
Philippe Chiambaretta : Il y a 10 à 15 ans, la Smart City était essentiellement vue comme un nouveau marché et un eldorado par des industriels. Ils pensaient pouvoir mieux gérer la ville, la surveillance, le trafic… Cette logique de centre de contrôle névralgique devait permettre une optimisation de la ville. Il y a un côté néfaste à ne voir qu’en la Smart City ou le Smart Building un hyper contrôle qui permettrait essentiellement de générer du chiffre d’affaires. Le côté positif est qu’il existe un vrai besoin par rapport à nos consommations, notre empreinte carbone et notre impact environnemental. Pour les contrôler, il faut les objectiver et les mesurer, comme en médecine, et la data le permet. Elle est un moyen, pas une fin en soi.
Alors, que peut apporter la technologie ?
Philippe Chiambaretta : Au niveau des producteurs d’architecture, des promoteurs et des investisseurs, il y a des choses assez simplistes comme équiper les salariés d’une application pour gérer les salles de réunion, optimiser l’utilisation de l’espace partagé pour faire plus de choses dans le même espace car il existe une meilleure coordination grâce à la data. On peut aussi suivre les consommations énergétiques en temps réel, voire les afficher, ce qui peut même être un moteur du changement des comportements.
Côté architecture, ce qui est tout à fait nouveau dans nos métiers, c’est la quantification au sens large des matériaux, avec les outils de conception et l’intelligence artificielle, ceci afin d’obtenir des indicateurs pour créer des bâtiments plus vertueux, certifiés bas carbone par exemple. Aujourd’hui, lorsqu’on restaure un bâtiment, on réalise l’inventaire de tout ce qui est déposé, on travaille avec des industriels qui ont développé la pratique de conversion des matériaux… Toutes les caractéristiques de ces matériaux de réemploi sont rentrées dans les outils de conception 3D et du BIM (acronyme de Building Information Modelling ; un ensemble de procédures et suites logicielles développées pour la conception des bâtiments, NDLR), pour être capable de fournir un bilan carbone comme on donne des surfaces.
Comment la tour The Link que vous bâtissez à La Défense intègre-t-elle ces principes ?
Philippe Chiambaretta : Portée par Groupama, The Link deviendra en 2025 le siège social du groupe TotalEnergies. Elle revisite le modèle de la tour traditionnelle avec deux ailes reliées par des plateformes, les Link. Ces espaces favorisent la rencontre, offrent une place inédite à la nature. The Link fait appel au BIM dans sa phase de conception, et cette approche permet notamment de quantifier les matériaux. Nous avons beaucoup réfléchi afin de proposer un bâtiment en pointe sur sa capacité à optimiser la consommation énergétique. Tout un système de capteurs équipent la tour, associés à des outils de régulation pour les flux d’air par exemple. Les sanitaires sont aussi dotés de capteurs pour identifier les pannes et les fuites, l’éclairage est géré en fonction de l’ensoleillement… L’ensemble est centralisé, géré avec une maquette numérique du bâtiment. Nous travaillons aussi avec des partenaires qui font du « commissioning », c’est-à-dire qu’ils accompagnent sur une période de 1 à 3 ans les utilisateurs pour garantir le fonctionnement et atteindre les bons niveaux de performance.
Difficile de choisir entre simplicité et technologie…
Philippe Chiambaretta : Il faut un équilibre, un débat à tenir, pour ne tomber ni dans une technofolie, ni une technophobie. On peut penser qu’il y a une vertu à aller vers le plus de choses passives possible, comme le proposait l’architecture vernaculaire. Mais la pensée moderne a voulu la nier, au prétexte que nous avions de l’énergie à volonté. Aujourd’hui, on comprend qu’il existe une sagesse à être le plus économe et le plus simple possible. Il faut un certain degré d’ambition pour arriver à un bâtiment à énergie positive, et la data peut sans doute aider… à condition qu’elle reste un outil, pas un eldorado.
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