Plutôt à l’écoute de ses propres élans créatifs (il a participé à l’aventure théorique du collectif de designers français Dito « pour le recul que les autres apportent »), Guillaume Delvigne n’a pourtant pas arrêté de produire, sous la cloche de sa modestie malicieuse, remplissant ses nombreux carnets à la vitesse d’un hors-bord. Des dessins ultraprécis et finement enfantins, qui rappellent ceux d’Achille Castiglioni, l’un de ses héros avec Pierre Charpin, grand designer « dessinateur » passé aussi chez Sowden. Plus à l’aise avec un crayon à papier qu’avec une souris d’ordinateur, Guillaume Delvigne a vu ses esquisses prendre forme et donner naissance à des objets qui ont intégré les premières collections d’un panel toujours croissant de jeunes maisons d’édition. Dasras, Fabbian, Hartô, La Chance, Made in Design, Oxyo… sont friandes de son empreinte graphique naïve et astucieuse, à l’image de ses tabourets en chêne plié Bronco permettant de s’asseoir à califourchon (Super-ette, 2013, et Karakter, 2015) et du flotteur en liège livré pour Designer Box (2014). « Personnel et mal compris », selon l’intéressé, ce dernier objet n’en demeure pas moins un point d’amarrage intéressant pour qui souhaite accoster dans l’imaginaire du designer. Pour sa part, Hermès lui a renouvelé son souhait d’une nouvelle collection d’accessoires de bureau qui sera présentée en avril lors du Salone del Mobile. Au même moment, sortent chez Serralunga des pièces outdoor rotomoulées, des verres chez Cristal de Sèvres et du mobilier en rotin chez KOK. Pour ce dernier projet, la technique l’a rattrapé. Il a dû reconsidérer l’esquisse d’une courbe, tracée dans l’optique de souligner la souplesse de ce matériau, pour ajouter un renfort métallique : « Nous, les designers, ne sommes pas ingénieurs ni experts en matériaux, mais on se permet de tout changer pour que ce soit plus beau ou plus pratique… »
Designer libre
Bien que dépourvu de l’aura de l’artiste, Guillaume Delvigne n’en demeure pas moins suivi par une poignée de collectionneurs, attirés par ses éditions limitées aux matériaux précieux et conçues pour la ToolsGalerie depuis 2008. Certains lui commandent expressément du mobilier, comme ce psychiatre, heureux propriétaire d’une table en marbre unique baptisée Vesta (2015) et de (futurs) pots sur mesure pour ses cactus. « Je comprends ces personnes qui sont à la recherche de l’émerveillement quotidien, soutient Guillaume Delvigne. J’ai récemment remplacé les poignées de porte de ma nouvelle maison par des modèles de Max Bill, même si je doute que mes amis novices en design les remarquent. Au contraire de ma lampe Parentesi d’Achille Castiglioni et Pio Manzù (1971), déjà prise pour un objet contemporain ! Aujourd’hui, on doit pouvoir produire de la nouveauté tout en restant sensible. Je n’ai pas très envie de me pervertir à dessiner des projets exclusivement commerciaux. Je préfère avoir l’occasion de participer au développement d’une entreprise familiale qui fabrique en France. Le design découle aussi d’une prise de risque. D’ailleurs, je ne fonctionne pas par “mood board” (accrochage de photos, matériaux et éléments en lien avec un projet, qui aident à sa conception, NDLR), contrairement à ce qu’on nous recommande à l’école et en entreprise. Mon travail repose sur l’instant : je peux aussi bien m’inspirer des toilettes d’un aéroport que d’une œuvre d’art… Mon inconscient me guide. » C’est sûrement cette sagesse altruiste et ce simple émerveillement de la ligne qui l’emmèneront loin…