S’ils sont souvent décriés pour être surpeuplé, pollué et finalement peu adapté à la vie en communauté, les espaces urbains d’envergure continuent pourtant d’attirer. La diversité de l’offre économique et culturelle qu’ils proposent en fait effectivement des lieux où se regroupent une grande densité d’êtres humains. C’est de ce paradoxe attractivité-répulsion que s’emparent les commissaires Anna Labouze et Keimis Henni, qui ont mis sur pied « Grande Ville », une exposition à découvrir aux Magasins Généraux jusqu’au 17 novembre dans laquelle ces préoccupations sont transformées de manière à faire des métropoles des lieux où il est encore bon d’habiter et de rêver.
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« Grande Ville », une exposition profondément optimiste
Fondateurs d’Artagon (association dédiée au soutien à la création qui dispose de trois lieux accueillants des ateliers à Pantin, Marseille et dans le Loiret), Anna Labouze et Keimis Henni ont regroupé ici les œuvres d’une vingtaine d’artistes de générations et géographies différentes. Riches d’une première expérience d’exposition (« Regards du Grand Paris », en 2022) dans laquelle la ville occupait déjà le devant de la scène – « dans une perspective dystopique et futuriste » précise Keimis Henni -, les deux dénicheurs de talents artistiques décident cette fois d’aborder le sujet d’un point de vue plus utopique.
Loin de se vouloir se cantonner à des propositions purement architecturales, la sélection se veut pluridisciplinaire, regroupant des œuvres textiles, des installations sonores et vidéos, des peintures ou encore des photographies… « Cette exposition a la particularité d’être centrée autour de la ville à travers un autre prisme que celui de projets d’architecture ou d’urbanisme – même si des maquettes notamment celles de Tadashi Kawamata et de Bodys Isek Kingelez, sont tout de même exposées », souligne Keimis Henni.
D’autres font le choix d’aborder des questions d’inclusivité au sein des cités, comme No Anger qui propose L’isoloir, une installation sonore créée in situ. En situation de handicap, l’artiste et chercheur non-binaire travaille sur la question de l’inclusivité des corps non valides dans les espaces publics. De grands rideaux noirs permettent aux visiteurs de se glisser à l’intérieur de l’œuvre pour s’y isoler, consulter et écouter une compilation d’extraits d’ouvrage relatifs à l’histoire de la construction de Paris.
En remontant le temps, l’artiste évoque comment certains types de populations ont été exclus de la ville à chaque étape de son évolution urbanistique et architecturale. Parallèlement à ce récit dont la bande-son est entonnée par un chœur de voix de synthèse, No Anger développe une réflexion poétique sur la foule en évoquant le désir puissant de pouvoir mêler son propre corps à la foule urbaine à travers son regard de personne empêchée par sa situation de handicap.
L’art, un levier d’actions concrètes
Les spécificités géographiques entre les artistes ne passent pas inaperçues, celles et ceux travaillant autour de villes comme Paris n’ayant pas à faire aux mêmes architectures, aux mêmes populations et habitudes culturelles que celles et ceux interrogeant des cités comme Marseille, New York et Kinshasha. Pour Carlota Sandoval Lizarralde, artiste d’origine colombienne ayant grandi à Bogota, les métropoles ont quelque chose de rassurant car elles mêlent des personnes de différents horizons. Son installation Ofrendas évoque l’architecture et l’ambiance des boutiques colombiennes, les « tiendas ». « J’ai toujours été émerveillé par les marchés colombiens, où les kiosques sont saturés d’éléments magiques et mystérieux qui incarnent le chez-soi, l’histoire d’une famille et l’héritage du sacré », précise-t-elle.
Malgré la différence d’âge entre les artistes, parfois importante, l’enjeu écologique et la volonté de trouver des solutions pour mieux vivre ensemble est partagé par un grand nombre. Aux villes réelles s’ajoutent ainsi des cités rêvées, dont la dimension onirique apporte des propositions inédites. Pour Delphine Dénéréaz, artiste tisserande qui a longtemps idéalisé l’idée de vivre en ville en général et à Paris en particulier, l’envie de retourner à une zone plus calme et moins polluée se ressent : « « Bienvenue à Delfunland – Gran Delfini Hôtel » évoque une cité abandonnée recouverte de végétation qui aurait poussé les habitants à quitter la ville », explique-t-elle.
Sur une longue arche métallique, elle a tissé des représentations de plantes capables de grandir dans des milieux hostiles dans une palette de couleurs vives qui suggèrent la puissance de la nature. Convaincue que les œuvres d’art dans l’espace public pourraient apporter des solutions, ou en tout cas permettre de soulever des questions, Delphine Dénéréaz rejoint ici la réflexion de l’artiste franco-palestinien Gaby Sahhar. À travers sa série de peintures intitulées Eurostine, ce dernier mêle les mots « Europe » et « Palestine » et interroge ainsi des territoires urbains dénués de frontières. « Des fragments de la ligne d’horizon de Bruxelles, Londres et Paris sont fusionnés avec des images de la Palestine, l’idée étant d’interroger la proximité entre les frontières européennes et l’opinion publique par rapport à la géographie du Moyen-Orient », raconte-t-il.
Enfin, la dimension plus concrète de certains projets comme celui de Liz Christy (1950-1985) démontre la capacité des artistes à être vecteurs de transformations urbaines. Rassemblés dans des archives photographiques et vidéos, les projets de cette activiste américaine, membre des Green Guerillas (mouvement qui fait progressivement entrer la nature au cœur des villes) montrent l’origine du premier jardin communautaire de l’histoire, mis en place à New York en 1973. Aujourd’hui, ces lieux végétalisés et partagés sont légion – près de 700 sont recensés dans la Grosse Pomme. Ils sont selon le commissaire Keimis Henni, « l’illustration parfaite du pouvoir de la création et de l’imagination pour apporter de véritables solutions dans les villes ».
> Exposition « Grande Ville », aux Magasins Généraux jusqu’au 17 novembre 2024, 1 rue de l’Ancien Canal, Pantin. Plus d’informations ici.
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