Les métiers autour de la maison sont-ils si transversaux ?
Oui, parce qu’on nous demande d’avoir une vision globale. Et c’est ce qui m’intéresse. Je ne pensais pas un jour dessiner pour CC-Tapis, par exemple…
Qu’est-ce qui a le plus changé dans votre métier depuis dix ans ?
Je trouve que la distribution évolue très vite. Les gens ne vont plus seulement dans des magasins de meubles, on hésite moins à faire appel à un architecte d’intérieur. Parce que la maison représente plus que jamais une attitude, un statut social, qui fait qu’on est plus exigeant avec ça.
Etes-vous un maniaque du contrôle ?
Évidemment (rires). Un objet peut avoir du mal à voler de ses propres ailes. C’est un gros travail de le fabriquer mais aussi de l’accompagner. Ce qui m’intéresse, c’est de travailler sur l’image, la communication ou le développement de nouveaux marchés. Il faut parfois du temps pour qu’un meuble s’impose. Cela tombe bien puisque tout le monde produit moins.
Bois ou cuir, vous laissez volontiers croire que la matière n’est pas travaillée…
(Rires.) C’est rigolo, ce que vous dites. Cela dit, il est vrai que la matière est mon point de départ. Du bois massif sur une très grande table, on doute parce qu’on en a perdu l’habitude. Mais on peut avoir un plateau composé d’une très grande planche découpée sans qu’elle se déforme. Au contact d’une table comme celle-ci (il touche du doigt la table Tye), mes clients sentent tout de suite que ce n’est pas un placage.
La table Tye a justement un plateau hors norme et un piètement hors des clous. Vous n’avez pas peur que ce soit « too much » ?
J’ai beaucoup évolué… Avec le temps et l’expérience, je me permets plus de fantaisie. Je suis parti d’un « non-dessin » où ne comptaient que la matière et une couleur. Aujourd’hui, je m’intéresse aussi à ce qui se passe en-dessous d’une table. C’est intéressant d’avoir cette vision d’appui, plus basse que celle du seul plateau. Il faut relier l’ensemble des éléments de la table dans un rythme. C’est François Roche qui m’a appris ça. Il me disait : « Fais-moi quelque chose qui ait du lien, du rythme, qui n’ait pas de rupture. » Une table, c’est un tout.
Vos clients privés ont-ils changé ?
Ils sont plus exigeants. Ce qui n’a pas changé, c’est qu’ils sont fidèles ! (Rires.) Ça, c’est une grande fierté parce que certains viennent me voir depuis vingt ans. Ma plus grande satisfaction, ce sont les gens qui me suivent… et inversement d’ailleurs.
Vous souvenez-vous de la tendance « chocolat » en 2004 ?
Oui ! On voyait des ensembles entièrement coordonnés… C’est ce que j’appelle le costume-cravate de la déco. C’était d’un ennui ! Aujourd’hui, les gens osent davantage, on mixe des cultures, des époques. Ça veut dire regarder mieux. On choisit plus une pièce ou un élément. Par exemple, j’aime beaucoup dessiner des tables de repas en pensant qu’on reçoit et on travaille au même endroit. C’est une pièce primordiale dans la maison.
Avec le poids de l’histoire du goût, les Français osent-ils ?
Ce poids pèse toujours. En plus, les Français savent tout (rires). Ils sont plus forts que les autres, ils ont bon goût… Moi, je rappelle parfois à mes clients que, chez eux, je ne suis pas chez moi. J’apporte des solutions, des envies ou du rêve. Mais je ne cherche pas à imposer des choses. Aux États-Unis, je suis très fier que les gens me demandent des conseils très concrets : « Quelles chaises mettre avec telle table ? » En Chine, ils veulent apprendre très vite, fascinés par ce que l’on fait. Attention, je ne mets aucune hiérarchie là-dedans, entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas !
S’est-on quand même affranchi de certains codes ?
De plus en plus de personnes veulent quelque chose de personnel. Ou alors on fait appel à quelqu’un qui puisse afficher une signature. Chacun y met plus de moyens. Les métiers deviennent plus transversaux. L’architecte se rapproche du fabricant de meubles. Le sur-mesure concilie ces différents métiers.