Focus : Charlotte Perriand et l’architecture de montagne

Charlotte Perriand est partout ! A la fondation Louis Vuitton, en galerie, en librairie, sur la toile ou le petit écran, la créatrice revient en force, 20 ans après sa disparition. Alors que ses meubles comptent parmi les plus grandes icônes du design, retour sur une part plus méconnue, mais non moins négligeable, de son oeuvre.

Légèrement encaissé, le foyer de la cheminée se vit comme un espace à part entière. Entre un lit niché sous l’escalier et un coin séjour qui profite de la vue spectaculaire, il dessine un espace hybride, à la fois salon et cuisine, en même temps ouvert et parfaitement délimité. Malgré la rusticité des murs, la modernité de l’aménagement frappe aux yeux. D’autant plus à l’heure actuelle, alors que l’évolutivité et la multifonctionnalité des espaces tentent toujours de résoudre les difficultés liées à l’agencement des petites surfaces. Les problèmes que connaissent les urbains d’aujourd’hui, Charlotte Perriand y a répondu bien avant ; dès 1935, lorsqu’elle invente la cuisine ouverte, mais aussi trente ans plus tard, au sein des stations de ski qu’elle réalise aux Arcs.

Lieu de convivialité par excellence, le foyer de la cheminée était également propice aux grillades improvisées.
Lieu de convivialité par excellence, le foyer de la cheminée était également propice aux grillades improvisées. Pernette perriand-barsac-archives-charlotte-perriand-adagp-2019

De 1967 à 1989, elle signe quelques 15 000 lits sur les 25 000 réalisés aux Arcs 1600 et aux Arcs 1800. Alors que les sports d’hiver se démocratisent, ses appartements s’adressent au public le plus large possible. Y compris les familles nombreuses, avec une série d’astuces qui combinent les fonctions ou permettent de réaffecter les usages de l’espace au cours de la journée. Un concept à l’opposé de l’appartement bourgeois, avec des banquettes qui se déplient en lit, des couchages pour enfants suspendus au plafond du salon, des tabourets et des escaliers qui intègrent des rangements, ou un long ruban de bois qui court à mi-hauteur des murs pour servir d’appui-tête une fois assis dans la banquette, tout en faisant office de bibliothèque et en dissimulant les câbles électriques.

Bureau, couchages, cuisine et table des repas cohabitent parfois dans une surface extrêmement ténue.
Bureau, couchages, cuisine et table des repas cohabitent parfois dans une surface extrêmement ténue. ©Manu Reyboz

En réponse au rythme effréné des chantiers, la préfabrication est à nouveau de mise. Conçues comme des capsules en polyester, certaines salles de bains se raccordent directement aux réseaux des bâtiments. Même principe avec des éléments de cuisines qui s’ouvrent sur l’espace de vie. Quant aux placards, ils sont décollés du sol et du plafond pour éviter tout ajustement sur place, et s’agrémentent de casiers en plastique semblables à ceux du géant suédois. Pour autant, pas question de rogner sur la qualité, comme en attestent des tables en tôle émaillée montées sur vérin, ou des rideaux en laine confectionnés dans la région, par un fabricant qui travaille aujourd’hui pour Hermès.

Dessinés pour son chalet de Méribel, ses fameux tabourets ont également équipés les appartements des Arcs.
Dessinés pour son chalet de Méribel, ses fameux tabourets ont également équipés les appartements des Arcs. Nicolas Joly

Si le budget se resserre au fur et à mesure des deux décennies de chantier, le mobilier n’en devient que plus inventif. A l’exemple des tables dîtes Soleil, qui réunissent des chûtes et différentes essences de bois. A leurs cotés, les icônes du design ne manquent pas, tels les appliques pivotantes conçues à l’origine pour son chalet, ou les tabourets Elephant de Sôri Yanagi, son assistant de 1940 à 1942. Mais au-delà de l’aménagement intérieur, les stations des Arcs sont aussi une prouesse architecturale et urbanistique. Car Charlotte Perriand dirige l’ensemble de l’opération avec l’avant-gardisme qui la caractérise. Dans une époque où la voiture est reine, elle choisit de privilégier les circulations piétonnes et imagine une intégration paysagère qui fait encore référence aujourd’hui.

Avec ses façades inclinées, la résidence La Cascade dispose de terrasses en gradins coté sud, et d’un accès protégé de la neige coté nord.
Avec ses façades inclinées, la résidence La Cascade dispose de terrasses en gradins coté sud, et d’un accès protégé de la neige coté nord. Merci

A l’appel du promoteur Roger Godino, Charlotte Perriand arrive à la rescousse d’un projet déjà à l’étude depuis trois ans. A la place d’une tour envisagée dans les premiers temps, elle bouleverse tous les plans pour implanter La Cascade. Au centre des Arcs 1 600, le bâtiment se couche finalement dans la pente pour disparaître depuis la vallée. Suivent ensuite la résidence de la Cachette et une galerie commerciale. Ou encore l’ensemble Versant Sud, qui poursuit la même ambition avec un bâtiment semi-enterré mais toujours disposé en gradins. Là aussi, chaque appartement dispose de sa terrasse sans vis-à-vis, orientée au sud. Tandis que les toitures-terrasses s’habillent de végétation pour camoufler le bâtiment à la belle saison.

L’ensemble Versant Sud, sorti de terre entre 1969 et 1975.
L’ensemble Versant Sud, sorti de terre entre 1969 et 1975. ©Ghislaine Volpe

Aux Arcs 1800, la voiture est également absente mais l’accès des bâtiments se fait cette fois par la toiture. Une large coursive y dessert restaurants et terrasses, et reprend le modèle de « la rue en l’air » théorisée par Le Corbusier. Une figure dont Charlotte Perriand suit ainsi le chemin, en « [prenant] place parmi les grands « bâtisseurs »de la France des Trente Glorieuses », pour citer les mots de Sébastien Cherruet, commissaire du « Monde Nouveau de Charlotte Perriand ».

Le Monde Nouveau de Charlotte Perriand

Au delà de réunir 200 pièces de Charlotte Perriand, l’exposition de la Fondation Louis Vuitton noue un dialogue avec les oeuvres et artistes qui ont influencé sa vie. Entre des cartons de Picasso, des tapisseries de Le Corbusier et des toiles de Fernand Léger, 7 reconstitutions invitent également le public a s’immerger dans l’univers d’une créatrice hors-pair.

> Jusqu’au 24 février 2020. 8 Avenue du Mahatma Gandhi, 75116 Paris. fondationlouisvuitton.fr