Exposition : Les grands magasins, une saga architecturale

Après la mise en scène de la naissance des grands magasins au musée des Arts décoratifs, la Cité de l’architecture et du patrimoine dévoile une exposition d’envergure, réunissant 500 œuvres originales dans une scénographie immersive qui ambitionne de retracer, à l’échelle internationale, l’histoire de ces temples de la consommation, entre projets architecturaux et transformations sociales, économiques et urbaines. 

« Un jour, tous les grands magasins deviendront des musées et tous les musées deviendront des grands magasins. » Cette phrase prophétique d’Andy Warhol, prononcée en 1975, résonne avec force dans la dernière section de l’exposition « La Saga des grands magasins, de 1850 à nos jours », jusqu’au 6 avril 2025 à la Cité de l’architecture et du patrimoine. En retraçant cette épopée architecturale et commerciale, l’institution met en lumière comment ces édifices emblématiques ont su évoluer pour répondre aux aspirations successives des époques qu’ils ont traversées. Des façades richement ornées du XIXᵉ siècle à l’avènement du marketing expérientiel qui fait rage aujourd’hui, ils n’ont cessé de se réinventer pour refléter les rêves de modernité. En quête de nouvelles identités, ils incarnent un art de vivre et un modèle en perpétuelle mutation, où se mêlent commerce, culture et patrimoine.


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Quand l’architecture devient spectacle

Ce sont des héros de romans, des sujets de peinture, des décors de cinéma. Ils ont été pensés pour émerveiller et séduire les clients grâce à leurs coupoles vertigineuses, à leurs grandes vitrines et à leurs décorums où chaque détail crée une expérience unique. Selon Elvira Feraut, l’une des quatre commissaires de l’exposition, « ce sont des bâtiments réclames qui doivent absolument attirer l’œil et le chaland ». Si leur origine est discutée – était-ce à Paris avec le Bon marché ou à Londres avec Harrod’s – ils apparaissent de manière concomitante au XIXe siècle et vont s’influencer les uns les autres.

Marquise de l’entrée principale du magasin 2, la Samaritaine, Paris, Vers 1910. © Grands Magasins de la Samaritaine – Maison Ernest Cognacq / Studio Marmand
Marquise de l’entrée principale du magasin 2, la Samaritaine, Paris, Vers 1910. © Grands Magasins de la Samaritaine – Maison Ernest Cognacq / Studio Marmand
Inauguration des nouveaux magasins El Palacio de Hierro, 1911 Mexico, Historical Archives of El Palacio de Hierro, TL028, à l’occasion de l’exposition « La Saga des grands magasins » à la Cité de l’architecture et du patrimoine. © Mexico, Historical Archives of El Palacio
Inauguration des nouveaux magasins El Palacio de Hierro, 1911 Mexico, Historical Archives of El Palacio de Hierro, TL028, à l’occasion de l’exposition « La Saga des grands magasins » à la Cité de l’architecture et du patrimoine. © Mexico, Historical Archives of El Palacio

Louis-Charles Boileau (1837 – 1914), architecte du Bon Marché, pose les bases de ce modèle visionnaire avec le manuscrit Projet d’un magasin idéal (1888) dans lequel il décrit une architecture sans murs porteurs où les structures métalliques permettent la mise en place d’espaces ouverts. C’est la naissance d’une nouvelle forme de théâtralité : on ne vient plus seulement pour acheter, mais pour voir et être vu. Au fil des décennies, les architectes et designers de ces édifices vont plus loin que la simple fonctionnalité commerciale. Les vitrines se font tableaux vivants, les halls sont magnifiés par d’immenses verrières et les escaliers deviennent sculpturaux (celui d’Andrée Putman installé en 1990 au Bon Marché reste gravé sur les rétines).

Galeries Lafayette, Champs-Élysées, ParisBIG (Bjarke Ingels Group) 2019. © BIG – Bjarke Ingels Group / photo Delfino Sisto Legnani et Marco Cappelletti
Galeries Lafayette, Champs-Élysées, ParisBIG (Bjarke Ingels Group) 2019. © BIG – Bjarke Ingels Group / photo Delfino Sisto Legnani et Marco Cappelletti
Le rayon parfumerie du Bon Marché, Paris, à l’occasion de l’exposition « La Saga des grands magasins » à la Cité de l’architecture et du patrimoine. Photo Philippe Bernard, 1963. © Patrimoine Le Bon Marché Rive Gauche 
Le rayon parfumerie du Bon Marché, Paris, à l’occasion de l’exposition « La Saga des grands magasins » à la Cité de l’architecture et du patrimoine. Photo Philippe Bernard, 1963. © Patrimoine Le Bon Marché Rive Gauche 

Dès le début du XXᵉ siècle, les grands magasins parisiens innovent en intégrant les arts décoratifs dans leur modèle et deviennent les premiers à démocratiser le design. Le Printemps ouvre la voie en 1912 avec son atelier Primavera, véritable laboratoire où designers et artisans conçoivent des objets et du mobilier accessibles. Les autres enseignes suivent : les Galeries Lafayette lancent La Maîtrise en 1922 et Le Bon Marché crée Pomone en 1923. Ces studios s’imposent comme de véritables laboratoires de style qui vulgarisent le goût pour « le beau » auprès du grand public. Des générations de créateurs y trouvent l’opportunité de réinventer le mobilier et les objets du quotidien, de les rendre à la fois fonctionnels et élégants, posant ainsi les bases d’une esthétique moderne.

Reconquête patrimoniale et innovation

Après une période de rationalisation, de 1930 à 1980, inspirée par les modèles marchands nord-américains où l’efficacité et la rentabilité priment au détriment de la flamboyance architecturale – les espaces se cloisonnent, les halls avec verrière sont fermés, l’éclairage artificiel se généralise et les escalators font leur entrée – vient l’heure de la reconquête. Les grands magasins vont jouer un rôle central dans l’urbanisme contemporain, oscillant entre la restauration patrimoniale, qui devient une valeur commerciale, et l’innovation architecturale.

 Illuminations du Bazar de l’Hôtel de Ville à Paris Léon Gimpel, 1926. © Galerie Lumière des roses
Illuminations du Bazar de l’Hôtel de Ville à Paris Léon Gimpel, 1926. © Galerie Lumière des roses
Manchon, bouillotte et boîte, Magasin du Nord, Copenhague vers 1900, à l’occasion de l’exposition « La Saga des grands magasins » à la Cité de l’architecture et du patrimoine. © Copenhague, Magasin du Nord Museum
Manchon, bouillotte et boîte, Magasin du Nord, Copenhague vers 1900, à l’occasion de l’exposition « La Saga des grands magasins » à la Cité de l’architecture et du patrimoine. © Copenhague, Magasin du Nord Museum

Les bâtiments historiques retrouvent leurs éclats grâce à des campagnes de rénovation quand d’autres sortent tout simplement de terre comme les Galeries Lafayette de Jean Nouvel à Berlin en 1996, le Selfridges de Birmingham, signé Future Systems, en 2003, qui établit un dialogue visuel avec la ville grâce à sa façade recouverte de 15 000 disques métalliques, ou encore plus récemment le bâtiment météorite du Galleria en Corée du Sud imaginé par l’agence OMA de Rem Koolhaas. À Paris, la renaissance de la Samaritaine, après un chantier hors norme dirigé par  Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, incarne ce désir de réinventer l’histoire sans la dénaturer grâce à une façade en verre ondulé, une prouesse technique, qui dialogue avec l’Art Nouveau d’origine.

Les grands magasins, à bout de souffle ?

« C’est un modèle résilient, qui a traversé les crises et ne cesse de se réinventer. Désormais, les grands magasins cherchent à offrir bien plus que des produits. Le client ne vient plus seulement pour acheter, il veut vivre une expérience », souligne Elvira Férault. Aujourd’hui, en plus de pouvoir dénicher la perle rare, il déjeune sur les toits-terrasses avec vue panoramique, se laisse aller à un massage du visage, se relaxe le temps d’une pause café, s’adonne à ses cours de sport préférés…

Vue intérieure du grand hall et de la coupole, Galeries Lafayette, Paris, Ferdinand Chanut, 1912, à l’occasion de l’exposition « La Saga des grands magasins » à la Cité de l’architecture et du patrimoine. © Archives Galeries Lafayette / DR
Vue intérieure du grand hall et de la coupole, Galeries Lafayette, Paris, Ferdinand Chanut, 1912, à l’occasion de l’exposition « La Saga des grands magasins » à la Cité de l’architecture et du patrimoine. © Archives Galeries Lafayette / DR
Le personnel du Printemps, Paris vers 1906-1907, Paris, collection Printemps Héritage. © Collection Printemps Héritage
Le personnel du Printemps, Paris vers 1906-1907, Paris, collection Printemps Héritage. © Collection Printemps Héritage

Les codes d’antan sont revalorisés à travers une approche curatoriale et immersive pour renouer avec le plaisir du shopping. On observe un véritable retours aux sources, et de Milan (Rinascente) à Chengdu (SKP), ils demeurent des fleurons de l’art de vivre. Et même si les Galeries Lafayette ferment à Berlin, d’autres prennent racine à New York ou en Inde, prouvant que ce modèle, loin d’être obsolète, continue de s’exporter et de faire des émules.

> « La Saga des grands magasins, de 1850 à nos jours », jusqu’au 6 avril à la Cité de l’architecture et du patrimoine.


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