Le plus fonctionnel des designers ne pratique-t-il pas néanmoins l’art de trouver de belles solutions ?
Oui, mais la confusion vient des créations qui sont à la lisière de l’art et du design, présentées qui plus est dans des galeries ou des foires. On ne pose pas la question de la frontière entre art et design à qui fait une brosse à dents. Ce qui est important, c’est que le design ne puisse pas jouer dans les deux camps.
Vous incarnez un design ultracréatif. Quelle part attribuez-vous à la fonction de l’objet ?
La fonction, raison d’être d’un objet, peut aussi passer par l’exploration d’un matériau. Quand je conçois une table, on doit pouvoir manger dessus, mais la façon dont elle est faite et le matériau qui la constitue ne sont pas secondaires. Ma collection de mobilier « Super Fake », en mélaminé, est une réinterprétation d’un matériau connoté comme ordinaire. Occasion parfaite pour réaliser une précieuse marqueterie à la main. La fonction primordiale, en l’occurrence, c’est de changer la vision qu’on a du mélaminé en lui donnant un nouvel usage.
C’est d’autant plus ardu qu’artisans, fabricants et éditeurs trouvent le mélaminé plutôt cheap…
Je ne suis pas la première à travailler le mélaminé de cette façon. Les Italiens du groupe Memphis l’ont fait de façon vraiment révolutionnaire dans les années 80. Les maîtres de maison ont alors découvert des cuisines aux couleurs inédites. J’aime associer nouveaux motifs et nouveaux mélanges de couleurs avec des matériaux familiers pour les gens. On ne mésestime que trop leurs usages possibles alors que, techniquement, ces matériaux évoluent. Les usages que revêt un matériau selon les époques… ce thème me passionne.
Plastic Fantastic! chez Sketch London, cet hiver, c’était quand même bien une installation ?
Oui, mais la demande était avant tout de faire quelque chose pour Noël. Transformer un espace classé, c’est très intéressant, mais je ne pouvais pas utiliser de papier par exemple, à cause des risques d’incendie. Je n’ai pas renoncé pour autant à rechercher l’impact maximal. Il fallait que tout enchante les joyeux convives pendant deux mois, même à deux heures du matin. J’ai procédé comme si je créais des bijoux mettant en valeur l’architecture.
Pourquoi un tel lieu veut-il être vu à travers vos guirlandes de bijoux ?
Parce que l’excentricité britannique est appréciée. Ces guirlandes de bijoux, comme vous dites, ponctuent très bien l’architecture un peu élisabéthaine du lieu. Le plastique utilisé sert d’habitude à faire des cloisons industrielles.
De Cecil Beaton aux Sex Pistols, les fameux British eccentrics aiment casser les règles sans renier leurs origines, y compris sociales…
La Britishness, qui caractérise notre longue histoire, recèle autant de choses merveilleuses que tordues. Mon atelier aussi. C’est drôle que vous parliez de social, à certaines périodes, tout le monde s’en moquait. Il y a aussi eu un moment ou le posh (le BCBG, NDLR) était très à la mode. Sur Channel 4 passe une émission sur le style, la classe… qui, aussi étrange que cela puisse paraître, signifie quelque chose pour les gens. En Angleterre, nous sommes assez facilement fiers de notre appartenance de classe. Or, il reste possible d’échapper à tout déterminisme en mélangeant les choses. À Londres, surtout, où de multiples origines et styles de vie cohabitent. C’est ce que j’aime dans cette ville.
Pour l’inspiration, Londres aussi est une plateforme, comme le RCA !
Absolument. Londres diffère totalement de Duston, dans les Midlands, où j’ai grandi. Le coin est très beau, mais britannique à sens unique, avec des jardins, plein de légumes et de la crème pour le thé. C’est pourquoi j’aime que Londres offre un tel mélange de choses à ressentir en arpentant la ville, spécialement dans ses marchés aux puces.
Est-ce réducteur de vous qualifier de designer très visuelle ?
Pas du tout. J’ai toujours aimé voir des choses. Je suis même quelqu’un de très visuel à titre personnel. Je regarde plus de films que je n’écoute de musique. C’est visuellement que j’absorbe les choses autour de moi avant d’en intégrer certaines dans mon travail. Je collectionnais déjà des objets avant d’entrer au RCA. Tout cela est donc assez naturel pour moi. Je continue d’apprécier le défi qui consiste à bien assimiler ce qui m’inspire. Je sais mieux aujourd’hui à quoi donner la priorité, à la forme, au matériau ou au client, avant d’apporter ma propre touche.
Comment vous est venue l’idée de travailler avec des artisans ?
Au RCA, nos recherches sur le design dans la ville nous ont rapprochés de l’intérêt pour le local, et donc pour l’artisanat. Avec d’autres étudiants, nous avons eu la chance de partir en résidence à Venise, à la fondation Claudio Buziol, l’homme à l’origine du label Replay. Si je demandais d’où venait tel chandelier, on me présentait un artisan. En sollicitant des artisans locaux, j’ai pu réaliser un projet en dentelle, puis mettre au point des motifs s’inspirant de ceux des sols vénitiens en terrazzo. Les artisans abondaient autant que les sources d’inspiration ! Il y a aussi sur les murs de Venise une sorte de pulvérulence (corps réduit en poudre, NDLR) qui donne à la couleur une tonalité graduée particulière. Dans les palazzi, le vrai marbre se mélange au faux, peint, qui est tout aussi intéressant.
Les artisans vous écoutent-ils ?
Certains artisans sont très à l’écoute dès le départ, avec d’autres, cela vient plus progressivement. Il faut savoir expliquer ce que l’on veut. C’est une collaboration à double sens et j’apprécie qu’on me fasse des suggestions. La maîtrise du savoir-faire des artisans impose de ne pas être distant ni autoritaire. Massimo Lunardon, artisan du verre à Venise par exemple, a vraiment l’habitude de travailler avec des designers. Chez Claudio, à Vicence, j’ai d’abord regardé ce qu’il aimait faire de ses mains et avec son cœur. J’en tiens compte pour le travail réalisé ensemble, les luminaires de la collection « Crisscross » par exemple. Ici, avec Alan, un pro du métal, je bénéficie de son savoir-faire. On échange et il me propose des techniques. On veille à ne pas surcharger les objets.