Lesquelles de vos séries sont-elles des best-sellers ?
BJ : « Japan Diaries » et « She Is Cuba » se vendent bien sur le marché américain et notre série américaine « Circumstance » est particulièrement appréciée en Europe.
R. : Nos best-sellers sont ce que j’appellerais la « femme Formento » par excellence, forte, mystérieuse, pleine de caractère ; un lieu ou une image évoquant une époque ou un endroit qui appartiennent au passé et dont on veut savoir davantage. Il émane de Marian 3 (« She Is Cuba ») un sex-appeal indéniable, mais également une force sans même montrer son visage. Quorra, une Japonaise nue qui rôde dans les ombres d’un ancien temple, le corps recouvert de texte calligraphié, a également du succès. Ces deux images évoquent une vulnérabilité, mais également une grande force de caractère.
BJ, vous êtes américain, Richeille, anglaise. Vous considérez-vous comme un couple mixte ? Vos différences culturelles sont-elles une source d’enrichissement mutuel ?
BJ : Notre travail puise dans le réservoir de notre éducation, de notre enfance et de notre culture. Sur un plan personnel, j’ose espérer que nos différences culturelles contribuent à un enrichissement mutuel. Pour l’instant, tout se passe bien (rires).
R. : Oui, nous pensons les choses très différemment, ce qui ne peut qu’enrichir et contribuer à décloisonner notre travail et à diffuser plus largement notre message.
Vos images évoquent le cinéma américain des années 50 et 60, mais jamais la photo américaine, traditionnellement réaliste. Peut-on dire que votre travail est à mi-chemin entre le documentaire et la fiction et, en cela, assez proche de celui de Philip-Lorca diCorcia, qui, en quelque sorte, mettait en scène la réalité ?
BJ : Edward Weston a été le premier photographe que j’ai vraiment admiré, ensuite il y eut Henri Cartier-Bresson, Helmut Newton, Guy Bourdin, Richard Avedon, William Eggleston, puis Jeff Wall et Philip-Lorca diCorcia. Donc, oui, on retrouve cette « part de chance » que je laisse advenir même quand la mise en scène est très recherchée. Je trouve que ces moments « entre deux » sont réellement essentiels, que ce sont ceux-là qui « parlent » peut-être le mieux au spectateur. Avec tout le décor et la lumière que nous produisons, cette humanité pourrait être engloutie et perdue. Mais, justement, nous travaillons vite et essayons de créer du chaos au milieu d’une situation hypercontrôlée.
R : Notre travail est sous-tendu par ce qui attise notre imaginaire. Or je pense que le cinéma américain a colonisé le monde et a marqué l’histoire visuelle. Pendant l’après-guerre, les États-Unis ont réellement créé un précédent. Tout ce que nous faisons s’appuie sur des événements historiques qui ont façonné et changé le monde. Nous nous penchons sur le passé et regardons vers l’avenir, habités par ces fantômes qui trouvent une résonance dans chacune de nos actions.
Lorsque, au tout début de votre carrière, vous avez décidé de faire un road trip aux États-Unis, vous y aviez été poussés par manque de commandes, car c’était la crise (2008). La série que vous en avez tirée, « Circumstance », doit-elle être considérée comme un témoignage ?
BJ : Au départ, nous avons fait ce voyage par besoin. Je grimpe vraiment aux rideaux quand le spectre de la dépression s’installe. Lorsque la crise a frappé l’Amérique, nous venions de quitter New York pour emménager à New Haven (Connecticut). Entre le silence du téléphone et l’atmosphère de la banlieue, nous avons eu besoin de combler le vide. Nous nourrissions tous les deux le rêve d’avoir un Airstream (société américaine qui a produit des caravanes et des camping-cars à partir des années 30, NDLR) vintage et de nous embarquer dans le road trip américain classique. Et donc, lorsque l’esprit créatif a frappé à la porte, nous avons répondu à l’appel. Sans expérience et avec une bonne dose de courage, nous avons vécu sur les routes pendant deux hivers. Paradoxalement, nous en avons conçu un témoignage, mais ça n’a jamais été l’idée de départ. « Circumstance » a été notre lettre d’amour à l’Amérique. Lors du premier périple, nous voulions explorer le rêve américain hollywoodien, la saga familiale, le mythe pavillonnaire… Lors du deuxième voyage, la récession faisait son œuvre et nous avons découvert des villes entièrement désertées. Les personnes que nous avons rencontrées avaient perdu leur logement, leurs animaux domestiques et vivaient sur les routes, exactement comme nous. Une fois que l’orage est passé, les photos ont pris vie et ont lentement été découvertes par les galeries et les curateurs. Nous sommes à jamais reconnaissants aux personnes rencontrées pendant ce projet et aux 140 « modèles » avec qui nous avons collaboré. L’expérience a réellement changé nos vies.
R. : Tout cela est arrivé parce que nous devions modifier nos habitudes, et la conjoncture économique nous a en quelque sorte forcé la main. Comme quoi, les meilleurs projets naissent parfois d’une trajectoire totalement inattendue, pavée d’incertitudes. C’est cette volonté de plonger dans une réalité inconnue qui nous a amenés à faire des découvertes visuelles.
Vous avez fait des séries au Japon, en Inde, à Cuba, en Thaïlande… Le voyage est une partie intégrante de votre œuvre. Comment choisissez-vous vos destinations ? Que cherchez-vous ?
BJ : La décision est en grande partie alimentée par ce que nous trouvons excitant, original et tabou ! Nous avons vraiment de la chance de pouvoir créer nos propres projets. En 2013, nous avons travaillé à Cuba et, en tant qu’Américain, j’ai dû traverser la frontière de façon illégale en passant par les Bahamas. Combien de fois avons-nous été retenus à la douane pendant des heures à cause de notre matériel photo et d’éclairage et de nos mallettes de relooking ? En Inde, nous avons bravé les foules ; au Japon, systématiquement perdus, nous passions notre temps à chercher notre chemin. Pourtant, on adore ça, on ne changerait rien. Il est toujours agréable de se reposer ensuite sous le soleil de Miami. Comme je le dis toujours, nous voyageons quand nous travaillons et c’est une fois à la maison que nous sommes en vacances.
R. : Nous cherchons un lieu qui éveille notre intérêt aussi bien personnel que visuel. « She Is Cuba » a été comme une riposte à « Circumstance », parce qu’il nous semblait juste d’enchaîner avec un pays figé dans une esthétique et un temps qui contrastent clairement avec le modèle de vie américain. Le Japon, parce que nous voulions nous trouver à l’extrémité opposée des deux premiers autres pays. C’est souvent en terminant un projet que l’on est attiré par une aventure qui diffère complètement de celle que l’on quitte.