Comment construisez-vous vos photographies ?
BJ : Les inspirations et les références jouent un grand rôle dans notre manière de procéder. Peintres, musiciens, designers et autres photographes sont importants pour nous. Dès lors que nous avons un concept à explorer, nous commençons par partager des idées, voir quel type d’atmosphère nous voulons créer, quel style de musique nous voulons évoquer ; le lieu et les mannequins feront le reste, car les mannequins apportent leurs propres bagages personnels et nous sommes toujours ouverts à ce type de contribution. Au bout du compte, lorsque l’on construit une photographie, il est important de savoir ce que l’on inclut mais surtout ce que l’on exclut. L’objectif final est de permettre à la photo de se dévoiler très lentement, de poser des questions et, enfin, de laisser le spectateur apporter ses propres réponses.
R. : La plupart des photographies naissent d’un élément déclencheur qui résonne en nous visuellement et personnellement, qui nous donne envie d’aller explorer plus au fond de nous-mêmes. Généralement, le voyage commence par la collecte d’images, de citations, d’idées autour d’un sujet et progresse naturellement vers l’identité visuelle que nous créons et qui sera notre message. Les lieux, les mannequins et l’esthétique nous aident ensuite à raconter notre propre version d’une histoire.
Vous avez une prédilection pour le nu. L’érotisme est-il une évocation de la vie ? Une émancipation ? Une cristallisation du désir ?
BJ : Le véritable érotisme, c’est de ne jamais être explicite. J’ose espérer que lorsque vous regardez nos nus et entr’apercevez des moments inexplorés de la vie des femmes, vous pénétrez dans leur intimité. Là, je ne suis plus un photographe mais juste un observateur de la scène en train de se produire. J’adore l’attitude d’une femme nue à l’aise face à la caméra. Elle l’a ou elle ne l’a pas. Même si elle est vêtue, elle va projeter une forme de bravade et de confiance, mais j’essaie toujours de montrer quelque chose que l’on n’est pas censé voir. S’agit-il d’une cristallisation du désir ? Bien sûr ! Mais cela va au-delà de la surface, du titillement, j’adore les lignes infinies d’un corps nu.
R. : La nudité peut jouer un rôle aussi bien innocent que sexuel, selon le sujet. Nous sommes venus au monde nus et nous en repartirons ainsi, une existence cyclique parfaite qui sera perçue dans tous ses aspects et de façon différente, selon les cultures.
Pourquoi la féminité vous intéresse-t-elle autant ? Le fait que vous soyez une femme, Richeille, change-t-il la donne ?
R. : Je pense que BJ et moi percevons effectivement nos images différemment, qu’il s’agisse de nus ou non. C’est d’ailleurs ce qui est intéressant au niveau de la création, car lorsque nous travaillons ensemble, ce sont nos deux points de vue qui s’entrechoquent dans une seule et même image. Lorsque je crée, je n’essaie jamais de mettre en avant ou d’occulter la féminité ou la masculinité, d’autant que nous avons toujours eu pour objectif de permettre au spectateur, lorsqu’il regarde nos photographies, de se faire sa propre idée.
Lorsque nous avions demandé à Bettina Rheims pourquoi elle ne photographiait pas d’hommes, elle nous avait répondu que ses tentatives n’avaient jamais rien donné de satisfaisant, et qu’elle trouvait les hommes moins beaux, moins intéressants. Pensez-vous de même ? Sur notre shooting, aucun homme n’a dû se déshabiller…
BJ : Au contraire ! J’adore photographier les hommes. C’est tellement plus simple, pas de tralala, pas de cheveux, pas de maquillage ! Nous avons aussi photographié des hommes nus, que ce soit dans des poses érotiques hétéro ou homosexuelles.
R. : Dans le cas du shooting pour IDEAT, nous traitions du surréalisme qui, en lui-même, était un monde hautement sexualisé et dominé par les hommes. Nous avons décidé de le représenter sur ce mode. Les femmes ont vraiment su jouer de leur position en menant les hommes par le bout du nez et, d’une certaine manière, leur présence ultrasexuelle est autoritaire. Il n’aurait donc pas été juste de montrer les hommes dénudés. C’était un monde d’hommes, certes, mais les femmes y régnaient. C’est encore le cas aujourd’hui où, dans la publicité, les femmes font tout vendre. Une femme a des admirateurs ou des admiratrices qui la désirent et d’autres qui veulent être comme elle ; c’est une arme à double tranchant.
Comment choisissez-vous vos modèles ?
BJ : Leur apparence doit se fondre avec le concept traité. On les trouve sur Internet, dans les cafés, dans la rue et, pour finir, dans des agences de mannequins.
R. : J’aime chercher des personnages, des visages intéressants qui incitent l’autre à en savoir plus. Il faut les rencontrer, chercher une personnalité prête à nous faire confiance pour l’embarquer dans notre voyage et qu’elle y collabore activement.
Lorsque vous travaillez, vous appuyez tous les deux sur le déclencheur. Chacun reconnaît-il ses propres clichés ensuite et, si oui, à quoi ?
BJ : Bien sûr que nous les reconnaissons. Mais au bout du compte, je ne m’attarde pas dessus. Ce qui importe, c’est la force d’une image et sa propension à raconter l’histoire voulue.
R. : Quand vous avez regardé à travers le viseur, vous n’oubliez jamais un cliché que vous avez pris. Parfois, la différence de style est évidente, le mien faisant jouer un fond graphique avec des angles dynamiques et des lignes droites.
Combien de déclics faut-il pour obtenir la bonne image ?
BJ : Le processus est tellement organique… Une fois de plus, le bagage qu’on y amène et celui du mannequin vont engendrer une image emblématique ou pas, mais c’est le voyage qui y conduit qui importe.
R. : Nous sommes très prolifiques. Nous travaillons comme s’il s’agissait de parcourir un décor de film et d’en saisir des angles multiples. Une image peut être montée, mais quand il y a plusieurs mannequins, plusieurs photos peuvent en découler…