Dans les vitrines de la boutique American Vintage, rue de Charonne, à Paris (XIe), deux grandes œuvres en plâtre blanc montées sur des chevalets ont pris la place des vêtements ; une installation audacieuse née du partenariat entre la marque de mode et le festival Design Parade Toulon. Chaque année, la griffe marseillaise propose aux lauréats de la manifestation d’architecture intérieure d’investir ses adresses. C’est le duo récompensé l’an passé, Edgar Jayet et Victor Fleury Ponsin, qui a imaginé cette installation.
L’influence de l’histoire de l’art
« Si nous avons participé ensemble à Design Parade, Victor a désormais embrassé une carrière d’artiste tandis que j’ai lancé mon agence de scénographie », raconte Edgar Jayet. Mais ils ne sont jamais loin.
Victor a ainsi réalisé un moulage des calanques marseillaises qu’il est venu poser sur des chevalets dessinés par Edgar. « J’ai imaginé des artefacts inspirés du mobilier d’artistes du XIXe siècle : une sellette (un siège, NDLR), un guéridon et un chevalet qui viennent en support des œuvres de Victor », explique celui qui, à 24 ans seulement, est déjà fortement imprégné d’histoire de l’art.
Étudiant en architecture intérieure à l’école Camondo, Edgar Jayet a rejoint juste après son bac l’atelier du designer David Trubridge en Nouvelle-Zélande puis s’est envolé pour Hongkong dans le cadre d’un échange entre le Design Institute chinois et Camondo. Son travail a été montré par l’Institut français de Milan, en 2019, à l’occasion du Salon du meuble, au sein d’une exposition collective d’écoles françaises de design, avant des collaborations avec Jakob + MacFarlane, Noé Duchaufour-Lawrance et Xavier Veilhan. « Je dois beaucoup à Noé et à Xavier, dans leur engagement à transmettre leur vision et leur pratique », reconnaît Edgar.
Déployer une narration
Aujourd’hui, il partage son temps entre le lancement de son agence et la finalisation de son diplôme à Camondo. Pour ce dernier, baptisé « Vienne est un tombeau », il s’est plongé dans l’histoire du design et plus particulièrement la période de la Sécession viennoise, au début du XXe siècle. L’Histoire, encore, qui a toujours été le ferment de son inspiration. Déjà, en postulant à Design Parade Toulon – dont le thème est invariablement « Une pièce en Méditerranée » –, c’est sa mémoire familiale qu’il avait convoquée. A benidor, un banc de sieste, a été l’occasion de rappeler les souvenirs algériens de ses grands-parents pieds-noirs. « Lorsque je l’ai exposé, j’ai pu discuter avec des Toulonnais et évoquer ce sujet complexe à travers le mobilier, un domaine qui rapproche. »
Ce prix fut un moment fondateur pour lui, car, en plus d’avoir suscité l’intérêt d’American Vintage, il a débouché sur une commande de la Fondation Carmignac, à Porquerolles, dont l’équipe a commissionné du mobilier de sieste pour ses jardins. Edgar s’est alors inspiré des échelles fruitières utilisées dans les vergers… Des premiers projets très prometteurs qui dessinent déjà les contours de sa jeune agence. « Je vais me spécialiser en scénographie et en muséographie. Je cherche à développer des propositions dans lesquelles déployer une narration, du mobilier qui ait du sens. Une activité que j’aimerais enrichir à travers une revue consacrée à la création. »
Mais ces jours-ci, c’est surtout à la conception de la salle qu’il scénographiera dans l’ancien évêché de Toulon pour l’édition 2022 de Design Parade qu’il s’affaire. Avec son acolyte Victor, ils travaillent sur la question de l’impermanence des lieux, dans cet édifice qui, depuis sa vocation religieuse originelle, a connu bien d’autres fonctions.
« Je me suis replongé dans le Moyen Âge, une époque de mobilité où les meubles étaient faits pour être transportés. D’ailleurs, tréteaux, coffres et tentures naissent à ce moment-là », rappelle celui qui a finalement développé son idée autour d’un coffre du début du XVIe siècle, prêté par la Galerie Alexandre Piatti. « Je vais me servir de 400 mètres de passementerie, un accessoire jugé comme vieillot, dépassé, inutile… Et qui sera la matière essentielle du projet », explique le jeune créateur, dont la culture et la maturité laissent présager une brillante carrière.