Depuis quelques années, le design mexicain jouit d’une nouvelle place sur la scène internationale. Longtemps laissée dans l’ombre, la jeune garde attire aujourd’hui les regards par son approche singulière. Ideat vous raconte cette révolution.
Couleurs, saveurs, histoires, musiques … la culture mexicaine fascine aux quatre coins du monde. La peinture surréaliste de Frida Kahlo et l’architecture émotionnelle de Luis Barragán ont fait rayonner le pays à l’international dans les années 1940. Pourtant le passage au XXIème siècle met en retrait la jeune création sur la scène mondiale, au profit des tendances européennes et nord-américaines, notamment en matière de design.
Cela ne décourage pas pour autant les talents mexicains, qui puisent leurs inspirations dans les ressources de leur territoire et créent dans une totale liberté. C’est une énergie qui, au détour des années 2010, anime divers acteurs de la culture locale. La création de foires et d’événements artistiques dans le pays suscite l’intérêt à l’étranger qui redécouvre alors une communauté créative, dynamique et innovante.
Des événements locaux qui confirment le design mexicain
Alors que les arts dits « majeurs » restent en vogue au Mexique, les arts décoratifs peine à s’imposer, y compris à l’intérieur du pays. Les collectionneurs mexicains portent leur attention sur les modes occidentales, sur les nombreux salons qui instaurent la valeur des objets de collection. Sur le banc de touche, les créations nationales sont alors entachées par l’image du « Mexico barato », autrement dit, des pièces à faible valeur.
Une brèche s’ouvre en 2009 avec la première édition de la Design Week Mexico. En fondant cette manifestation, l’ambition est de redorer l’image de la création mexicaine. Le design y est considéré comme « un agent de changement économique, social, culturel et environnemental, qui fait partie intégrante de la société ». Lors de cet événement annuel, la capitale devient une plateforme de diffusion, consolidant la singularité créative du Mexique au niveau national et international.
Le retentissement espéré est au rendez-vous. Les projecteurs s’orientent sur le pays, sur sa communauté créative et son nouveau dynamisme. En 2018, Mexico est désignée Capitale mondiale du design et l’architecte Frida Escobedo signe le nouveau pavillon éphémère de la Serpentine Gallery à Londres.
La Design Week Mexico impulse un mouvement de diffusion auprès de créatifs mexicains. De nouvelles manifestations se développent, et choisissent des formats originaux, confirmant la singularité de la jeune scène artistique.
Avec Salón Cosa, les fondateurs Daniela Elbahara et Mario Ballesteros conçoivent une alternative aux foires conventionnelles. Leur idée ? Se détacher des étiquettes ou des hiérarchies disciplinaires. Dans un jardin dessiné par Luis Barragán ou dans un hôtel brutaliste à Guadalajara, chaque édition investit un lieu et une région culturelle différents pour présenter une sélection d’objets uniques qui reflète la diversité du pays et l’approche audacieuse des talents invités.
Du virtuel au physique, les galeries visent l’international
L’action des foires au cœur du pays confirme la créativité mexicaine et incite un changement de regard aussi bien local qu’international. De nombreux créatifs mexicains vont alors chercher à créer un écosystème d’espaces et de lieux de promotion.
Sans infrastructure physique, Fernanda Salamanca et Andrea Gadsden s’intéressent à de nouveaux supports pour rendre visible le design mexicain contemporain. Imaginée d’abord comme une galerie virtuelle, Difane naît d’une envie de produire de manière locale et collaborative, et de présenter le meilleur de la jeune garde mexicaine, au côté de personnalités reconnues.
« Au Mexique, le design s’attache à la tradition. On cherche à travailler des matériaux primaires liés aux traditions locales avec un regard expérimental, essayant d’amener le design mexicain dans un marché cosmopolite. » À travers la plateforme en ligne convertie en galerie physique à Mexico en 2023, les fondatrices ont trouvé un moyen de partager leur vision du design et découvrir son évolution dans le monde.
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Ce changement de mentalité, Laura Abe Vettoretti et Maria Dolores Uribe l’ont également perçu en créant leur galerie Unno en 2019. « Les collectionneurs ne voient plus les designers mexicains comme de simples artisans mais comme des créateurs d’objets de collection. » Pour elles, le design arrive à un point de maturation, attirant les projecteurs sur le Mexique. « Les propositions sont riches et uniques. Elles racontent notre histoire à travers un savoir-faire artisanal et des idées innovantes. »
Le design mexicain est prolifique et les vitrines locales se multiplient. Si la visibilité est mondiale, les pièces restent ancrées dans le pays. « Trouver du design mexicain en dehors du Mexique était quasi impossible dans les années 2010. Il fallait ouvrir le regard sur les valeurs artisanales et historiques du pays. »
Passionnés par le pays et les riches communautés qui le composent, Amanda et Sébastien Réant fondent en 2015 Luteca. Aujourd’hui à Paris, à New-York et plus récemment à Mexico, la maison d’édition rend hommage à « l’esprit » mexicain et le porte sur la scène mondiale et contemporaine. Retravaillant les pièces de figures pionnières comme Michael Van Beuren, Clara Porset et Pedro Ramirez Vázquez, elle dévoile la diversité culturelle du pays, où les maîtres du Bauhaus s’inspiraient de l’histoire précolombienne et mettaient en lumière les artisans mexicains.
Le design mexicain, entre artisanat et innovation
La pluralité des cultures infuse dans la société mexicaine. « Les marchés, les rues, les couleurs, l’art populaire, les villes de San Miguel de Allende et Oaxaca, les artistes Chucho Reyes et Luis Barragán … La mexicanité réside dans cet entrelacement des différentes couches historiques qui font le Mexique d’aujourd’hui. Le passé est encore présent dans notre quotidien. »
Pour le designer Daniel Valero, fondateur du studio Mestiz, ce syncrétisme est l’une des forces du design mexicain. Il permet une approche différente des créations européennes : libre, inattendue mais toujours dans un respect des ressources et des traditions locales.
La relation de travail avec l’artisan est ainsi centrale et résonne avec les ambitions actuelles de production durable. Installé dans le village de San Miguel de Allende, Mestiz perçoit le design comme une histoire de collaboration et d’inspiration mutuelle. « Chaque design est sauvage, inspiré de la nature qui l’entoure et du lieu dans lequel il a été créé. Les couleurs, les plantes, les animaux, les matériaux ». Des mégapoles aux zones rurales, l’énergie créative se révèle ainsi dans chaque composante du pays.
Mais si le design mexicain attire le regard, c’est aussi par ses couleurs. Vivantes, elles soulignent la diversité culturelle du Mexique et rappellent la vision de l’architecte Luis Barragán. L’œuvre n’est plus un simple objet fonctionnel mais une création qui cherche à éveiller nos sens. Le designer Andrés Gutiérrez poursuit ce propos avec sa galerie showroom, Originario.
L’intérieur coloré imaginé par le designer est un condensé des talents qui construisent le nouveau design mexicain. Pensé « comme une plateforme d’expérimentation et d’exposition pour de jeunes créatifs aux idées innovantes », l’espace coloré imaginé par le designer condense les talents qui construisent le design mexicain de demain. Un design « autonome, expérimental et en pleine évolution qui nous ressemble et dévoile notre attachement à notre histoire. »