On ne présente plus Ron Arad. Né à Tel-Aviv, ce designer de talent, qui vit et travaille à Londres, demeure l’une des figures multidisciplinaires les plus influentes de notre époque. Depuis plus de quarante ans, ce visionnaire brouille les frontières entre l’art, l’architecture, la sculpture et le design, tirant le maximum des courbes, des lignes, des volumes, jusqu’aux concepts, le tout dans un esprit d’expérimentation constant, qu’il s’agisse de matériaux ou de technologie.
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La création sans limites
L’homme est également réputé pour les records atteints par ses pièces uniques dans les ventes aux enchères et ses collaborations avec les éditeurs les plus emblématiques du design industriel. Sans oublier la grande exposition de son travail qui a fait sensation en 2009, « No Discipline », présentée au MoMA de New York et au Centre Pompidou, à Paris. Mère peintre, père sculpteur, frère musicien… que pouvait-il devenir d’autre que créateur ?
Il étudie à l’École des beaux-arts Bezalel, à Jérusalem, puis intègre la prestigieuse Architectural Association School of Architecture de Londres. Ron s’est toujours joué des règles établies, et c’est en partie la raison pour laquelle il n’est pas devenu architecte à plein temps, jonglant constamment entre le désir des clients et les normes de construction. Les limites illimitées de l’art lui convenaient bien mieux. Une approche qu’il a réussi, à sa manière, à appliquer au design.
Son premier studio, baptisé One Off, qu’il cofonde 1981 avec Caroline Thormann, est à l’image de sa chaise Rover, assemblée à partir de deux ready-mades. Ce siège a retenu l’attention de Rolf Fehlbaum, éditeur révéré de Vitra, ce qui a valu à Ron Arad l’étiquette prometteuse de « designer à suivre ». « Une semaine plus tôt, je ne savais même pas que j’étais designer », s’amuse Ron Arad. Car, pour lui, les définitions sont autant de limites.
Toujours avec sa coéquipière des débuts, il cofonde en 1989 Ron Arad Associates, mais déménage dans une ancienne usine de Chalk Farm, près des puces de Camden Town, à Londres. C’est aujourd’hui un « vrai bric-à-brac », commente Ron. Prototypes, modèles et créations abouties occupent un espace à appréhender comme un chaos contrôlé. Le lieu est à l’image de l’artiste, passant sans relâche d’un projet à l’autre.
Au début, une foule de métallurgistes s’activaient dans le studio pour donner vie à ses croquis. Pour éviter de devenir chef d’un atelier d’artisans, et donc de se limiter à cette fonction, Ron a remplacé les machines par des ordinateurs et des stylos électroniques.
Aujourd’hui, il développe toute la journée ses nombreux projets avec une petite équipe de designers et d’architectes. Il faut voir les lieux comme « un jardin d’enfants évolutif », plaisante le designer. Ici, la table de ping-pong est en acier inoxydable, avec des extrémités qui se recourbent vers le haut pour faire durer les matchs plus longtemps! Une idée de Ron, naturellement.
Une bonne dose d’humour
Depuis le confinement, sa maison abrite au rez-de-chaussée un home studio, entouré d’une extension en acier Corten avec un plafond en pavés de verre. Un astucieux réseau de parapluies flottants, maintenus ensemble par des aimants fixés à des poutres métalliques, tient lieu d’auvent pour protéger le bureau du soleil. Au centre, un tapis en mosaïque et un espace vide.
C’est là – Ron démontre souvent les choses vidéo à l’appui – qu’il a recréé la silhouette d’une Morgan. La voiture a été reconstituée avec des coussins et des objets tels qu’une chaise du designer Gaetano Pesce dans le but de tester la housse de protection qu’il était en train de tisser pour le constructeur automobile. Il continue de faire défiler des images.
D’abord, d’un métier à tisser Jacquard moderne en action, puis d’un artisan sénégalais qui tisse à la main des cordes de polyéthylène sur le siège Modou. « Pour moi, les deux sont du tissage », conclut Ron, laissant de côté la question du contraste entre deux modes de production.
Sur la pelouse verdoyante du jardin, la chaise Modou, noire et sinueuse, avec sa structure faite de métal recyclé de barils de pétrole, trône parmi d’autres meubles sculpturaux. Elle fait partie des récentes collections que Ron a développées à Dakar avec Patrizia Moroso, dans le cadre de leur longue collaboration et amitié de trente ans. « Avec Moroso, chaque jour est un anniversaire », confie-t-il.
Après tant d’années, « l’envie de créer des choses qui n’existent pas encore » stimule encore son imagination. Ce qui relie ses différents projets? « La curiosité. » Et une bonne dose d’humour, comme le suggèrent les noms ludiques qu’il donne à ses objets.
Le maestro évoque ensuite Useful, Beautiful, Love, un ingénieux rocking-chair fabriqué à partir d’un énorme tronc de cèdre. Une citation de William Morris y est gravée: « N’ayez rien dans votre maison que vous ne sachiez utile ou que vous ne croyiez beau. »
Quant à l’éternelle question de savoir qui de la forme à la fonction précède l’autre, la réponse botte en touche: « Elles sont bonnes amies. » Ici, le rythme du designer ralentit peut-être quelque peu. Milo, son petit-fils, joue avec lui.
Lui même ne s’amuse-t-il pas, tel un enfant, à construire tout en repoussant les limites ? « Je dessine et je crée depuis l’âge de 8 ans, mais je commence à me rendre compte que je ne suis plus si jeune », s’épanche-t-il, laconique. Sous le chapeau qu’il ne quitte jamais, sa joie de créer nous a pourtant semblée bien loin de s’estomper.
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