Portrait : pleins phares sur le tandem de Corpus Studio

Fondateurs de l’agence d’architecture et de design, Ronan Le Grand et Konrad Steffensen sortent progressivement du cadre des créateurs émergents.

Huit ans après avoir créé Corpus Studio, les architectes Ronan Le Grand et Konrad Steffensen voient le fruit de leurs heures de dessin reconnu, entre expositions, salons et publications dans les magazines. Leurs CV respectifs exhalent un parfum de cosmopolitisme, qui révèle les frontières que l’on repousse.


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L’art de la forme

Konrad est australien. Son arrière-grand-père, Niels Carl Steffensen (1853-1947), était un ingénieur danois, qui, à moins de 20 ans, émigra en Australie où il construisit des ponts pour le transport de la canne à sucre et du bois, et bâtit notamment, à Bundaberg, dans la banlieue de Brisbane, sur la côte orientale, plusieurs édifices publics en briques et en pierre comme au Danemark.

Konrad Steffensen et Ronan Le Grand (assis), le duo à l’origine de Corpus Studio.
Konrad Steffensen et Ronan Le Grand (assis), le duo à l’origine de Corpus Studio. MATTHEW AVIGNONE

Le jeune Konrad Steffensen, après une licence d’architecture obtenue à la Queensland University of Technology, en Australie, s’est envolé vers Allemagne à la faveur d’un semestre d’échange universitaire avec la Technische Universität Berlin, ville qui l’a fasciné par la diversité et la dimension créative et expérimentale de ses constructions.

Un stage d’un an à Paris, dans l’agence Dorell Ghotmeh Tane (DGT), où l’architecte Lina Ghotmeh l’a incité à s’inscrire en master à l’École spéciale d’architecture, a été l’occasion de s’immerger dans l’histoire de cette discipline et de ses maîtres, visitant les projets passés et actuels.

La collection « BB », exposée chez Archik lors de la Paris Design Week de septembre dernier, explore l’arc de cercle et se décline sous toutes les formes (applique, suspension, chaise, table…) et dans toutes les fontes (de laiton, de cuivre, d’aluminium et de bronze).
La collection « BB », exposée chez Archik lors de la Paris Design Week de septembre dernier, explore l’arc de cercle et se décline sous toutes les formes (applique, suspension, chaise, table…) et dans toutes les fontes (de laiton, de cuivre, d’aluminium et de bronze). Mathilde Hiley

Un profil qui diffère de celui de Ronan Le Grand. Ce Français a étudié à l’École nationale supérieure d’architecture (ENSA) Paris-Malaquais, puis à la Pontificia Universidade Católica (PUC) de Rio de Janeiro, où le béton dialogue avec la luxuriante nature tropicale.

Côté culture, c’est l’immersion dans l’œuvre des architectes Lina Bo Bardi (1914-1992), à São Paulo, ou d’Oscar Niemeyer (1907-2012) et du paysagiste Roberto Burle Marx (1909-1994), dans la cité carioca. Il a ensuite fait sa valise pour le Japon, « un pays où le rapport entre l’architecture et la nature est différent, cette dernière y étant beaucoup plus contrôlée qu’au Brésil », observe-t-il. Dès l’ENSA Paris-Malaquais, il était poussé à expérimenter jusqu’au cinéma et à la sculpture.

Plusieurs cordes à leurs arcs

Dès leurs premières expériences dans des agences, les deux étudiants découvrent qu’ils peuvent faire aussi bien de l’architecture que du mobilier. Ronan Le Grand est formel : « Nos projets de design sont très marqués par notre formation. Quand nous réfléchissons en matière d’assemblage d’éléments, c’est une démarche architecturale. Nos meubles sont une forme de microarchitecture. »

Non loin du PèreLachaise, à Paris (XXe ), Corpus Studio a restructuré, en 2019, l’espace d’un pied-à-terre de 32 m2 en privilégiant la lumière et la vue.
Non loin du PèreLachaise, à Paris (XXe ), Corpus Studio a restructuré, en 2019, l’espace d’un pied-à-terre de 32 m2 en privilégiant la lumière et la vue. François Coquerel

À les entendre, ils apprécient surtout une certaine liberté. Leurs collections de mobilier, autoéditées, s’appuient sur le travail d’artisans qualifiés et sont financées par leurs projets d’architecture, à Paris, à Londres ou à Paros, en Grèce. Remarquées, elles ont de surcroît l’audace de ne pas ruer dans les brancards pour attirer l’attention, mais affichent plutôt la maîtrise des formes que l’on prête aux créateurs aguerris. Lors de la Paris Design Week en septembre dernier, le duo présentait simultanément deux collections, « BB » et « Platane ».

La première était exposée dans le cadre de la maison Archik (IIIe arrondissement), agence d’immobilier et d’architecture exposant des designers. Sur un fond de mur en feutre, ce rigoureux exercice de style déclinait en table, suspension, applique ou chaise des volumes autour de l’arc de cercle, en fonte d’aluminium, de bronze, de laiton ou de cuivre. L’ensemble s’inspire de la forme du fameux fromage français Babybel dans sa coquille de cire rouge à fendre en tirant une languette.

Pour le séjour conçu par l’agence en 2021 dans un triplex des Hauts-de-Seine, un sol en bois de bout. Chaise Elaphe (circa 1980) de Dominique Zimbacca (galerie Yves Gastou). Table basse Jumbo de Kalou Dubus (galerie Desprez Bréhéret). Vase (1962) de MichelDelmotte (galerie Aurélien Gendras). Canapé Environ Zero (circa 1970) d’Ennio Chiggio (Maisonjaune Studio).
Pour le séjour conçu par l’agence en 2021 dans un triplex des Hauts-de-Seine, un sol en bois de bout. Chaise Elaphe (circa 1980) de Dominique Zimbacca (galerie Yves Gastou). Table basse Jumbo de Kalou Dubus (galerie Desprez Bréhéret). Vase (1962) de Michel
Delmotte (galerie Aurélien Gendras). Canapé Environ Zero (circa 1970) d’Ennio Chiggio (Maisonjaune Studio). Christophe Coenon

Et n’est pas sans rappeler les initiales d’une autre icône nationale, Brigitte Bardot… Ce jeu avec des volumes géométriques a aussi donné naissance à la série « Apollo », de grandes pièces réalisées en pierre de lave émaillée fabriquées en Italie. « Notre façon de procéder permet d’obtenir des structures monumentales reposant sur des jeux d’assemblages constructifs. Nous aimons ce contraste entre la densité de la matière et une finition délicate, ici celle de l’émail craquelé », détaille Ronan Le Grand.

Toujours en 2024, le duo franco-australien a été sollicité par Mono Éditions, une jeune maison fondée en 2022 par Laetitia Ventura. Son but ? Réunir un architecte, une matière et un savoir-faire. Les designers ont ainsi mis au point les huit pièces de la collection « Platane ». Si cet arbre est commun en France, il demeure peu utilisé en ébénisterie en dépit de ses airs de bois précieux. « Même si cette essence n’est pas considérée comme noble, c’est justement son motif, incontrôlable, qui en fait tout l’intérêt pour nous », explique Konrad Steffensen.

Le guéridon et le fauteuil de la collection « Platane », fruit de la collaboration entre Mono Éditions et Corpus Studio, en édition limitée, signée et numérotée.
Le guéridon et le fauteuil de la collection « Platane », fruit de la collaboration entre Mono Éditions et Corpus Studio, en édition limitée, signée et numérotée. Mathilde Hiley

Le guéridon en porte-à-faux, le luminaire comme un totem ou la petite lampe de la gamme requièrent l’utilisation « d’une plaque de six centimètres d’épaisseur que l’on vient cintrer et contre-cintrer, ce qui crée des jeux de tension et de forces, comme en architecture », précise Ronan Le Grand. Corpus Studio s’inscrit ainsi dans l’esprit de ce mantra de l’architecte et designer italien Ernesto Rogers (1909-1969), qui parlait de dessiner ses projets de l’infiniment petit à l’infiniment grand, « de la petite cuillère à la ville », avec le même souci du détail.

Sur l’île de Paros, en Grèce, le tandem a transformé une maison de pêcheur en villégiature. S’il a conservé les beaux murs en pierre d’un mètre d’épaisseur comme tout le reste du rez-de-chaussée, il a construit un étage au-dessus, couronné d’un toit-terrasse, le tout agrémenté d’une piscine. Cernée de chapelles protégées par le code de l’urbanisme, vue de l’extérieur, la demeure s’inscrit dans le style local traditionnel, bien qu’elle décline des détails qui renouvellent le genre, avec son bassin en béton, par exemple.

Minéral, moderne et rustique, le salon de l’Oak Refuge, construction pour laquelle Corpus Studio a réinterprété le cabanon traditionnel. Un ensemble de cinq modules bâti dans les Catskills, région montagneuse de l’État de New York, en 2018.
Minéral, moderne et rustique, le salon de l’Oak Refuge, construction pour laquelle Corpus Studio a réinterprété le cabanon traditionnel. Un ensemble de cinq modules bâti dans les Catskills, région montagneuse de l’État de New York, en 2018. BLOCK STUDIO

À l’étranger comme en France, les clients de Corpus Studio sont d’âges et de profils différents. Auprès d’eux, le duo se fait aussi bien pédagogue que psychologue pour définir les rites domestiques personnels propres à chacun avant de procéder aux aménagements adéquats. « Parfois, le client peut s’étonner de questions très intimes », remarque Konrad Steffensen. Mais si les projets de l’agence remportent du succès, l’idée est de ne jamais se répéter. « Il n’y a rien de plus mortifère que la redite. Une idée d’architecture marche dans son contexte d’origine, sans vocation à être dupliquée », conclut Ronan Le Grand.


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