De son propre aveu, l’exercice n’était pas celui dans lequel on l’attendait. Avec son esthétique muséale, sculpturale et souvent minérale, l’architecte belge Bernard Dubois compilait depuis longtemps les projets de boutiques et de galeries, mais jamais encore relatifs à l’hospitalité. L’erreur est désormais corrigée grâce à la confiance de Nicolas Saltiel, fondateur de la collection Adresses Hotels, qui lui a confié la réalisation du Cap d’Antibes Beach Hotel.
Lire aussi : L’architecte Bernard Dubois signe le décor des boutiques Icicle à Paris
Rencontre avec Bernard Dubois, architecte du Cap d’Antibes Beach Hotel
IDEAT : Que signifie la réalisation de votre premier hôtel ?
Bernard Dubois : Beaucoup pensaient mon écriture froide, clinique, presque sèche, le genre qui ne pourrait pas s’adapter au cadre confortable d’un hôtel. J’aspire en réalité depuis longtemps à réaliser des lieux chaleureux. Il est vrai que mon esthétique s’est développée autour des typologies de la boutique et de la galerie, des lieux qui doivent être lisibles, pas forcément confortables. Je suis néanmoins ravi que Nicolas m’ait fait confiance et m’ait donné les clés de mon premier hôtel.
Comment le projet d’un hôtel diffère-t-il de celui d’un espace commercial ?
B. D. Un hôtel, au même titre qu’un projet résidentiel, est pluriel : il faut créer un lobby, des circulations, des chambres (un exercice particulièrement complet avec le coin nuit, d’eau, bureau, à manger), des restaurants, une partie plage, dans le cadre du Beach Hotel Cap d’Antibes… Cela conjugue différents projets en un et demande une grande flexibilité d’esprit afin d’imaginer au même plan la structure technique d’un bâtiment et ses poignées de portes, comme au XXe siècle où les architectes menaient leurs réalisations à 360°. C’était un peu mon fantasme que de me confronter à ce genre de projet total.
Comment avez-vous abordé la rénovation du Cap d’Antibes Beach Hotel qui existait déjà depuis la fin des années 2000 ?
B. D. Le bâtiment était existant mais nous l’avons modifié de toutes les façons possibles. C’était donc une grosse intervention : nous avons refait toutes les chambres, tous les crépis de façades, les jardins, les pavillons de plage… On ne perçoit plus beaucoup le bâtiment d’origine si ce n’est dans ses volumes. Souvent, d’ailleurs, quand on travaille sur un bâtiment déjà existant, c’est que la structure a un potentiel mal exprimé. Dans notre cas, on avait entre les doigts une architecture de 2000-2010 un peu tristounette qu’on a ramené vers quelque chose de moderniste faisant penser à la chapelle de Ronchamp de Le Corbusier ou la villa d’Eileen Gray.
Lire aussi : Ouverture de la fondation Hartung-Bergman à Antibes
L’esprit d’un hôtel se choisit-il quand il a déjà vécu ?
B. D. Le bâtiment existant et son port d’attache en ont directement inspiré le thème : une certaine Méditerranée française vintage, avec des touches cosmopolites qui pourraient tout aussi bien la rapprocher de Palm Springs ou de l’Amérique du Sud. Ce que j’aime, c’est découvrir et analyser les choses : le rapport entre une fenêtre et un mur, un auvent et une façade, des épaisseurs, des couleurs… Ces confrontations de proportions induisent un esprit, un ton. Ils peuvent évoquer la Californie de Richard Neutra, la Méditerranée de Eileen Gray… C’est grâce à ce genre de détails que j’arrive à infuser — ou à souligner — une atmosphère donnée dans mes réalisations. Pour être honnête, je passe mes journées avec mes équipes à demander des choses plus fines, plus petites, en avant, moins en avant… Je trouve que l’équilibre entre les différentes proportions est la clé du beau. C’est une histoire de composition, et bien entendu de ressenti et de sensibilité : un objet n’est fin que parce qu’il se tient à côté d’un autre plus épais, non ?
Le projet fait se confronter beaucoup de matières pétries d’aspérités.
B. D. Le travail des matières fut en effet très important pour moi. Notamment au niveau des crépis : je voulais revenir à ce gros grain typiquement méditerranéen. On a demandé à notre entrepreneur de le faire aussi épais que possible, dans la technique d’antan. Il a fallu vraiment insister car ce n’est plus comme cela que l’on fait le crépi aujourd’hui, il nous a pris pour des dingues !
De même pour les sols pour lesquels nous avons fait le choix d’une large pierre du nord de l’Italie qu’on utilise beaucoup en Engadine, en Suisse et vers Saint-Moritz. On appelle cela un opus incertum : sa surface est très irrégulière, son format est comme « cassé ». N’importe quel hôtelier aurait soulevé des questions de nettoyage, par exemple, mais Nicolas a tout de suite aimé l’idée car il savait ce que cela apporterait à l’esthétique du Beach Hotel Cap d’Antibes. Tous ces jeux de matières ont permis, dans le cadre ensoleillé d’Antibes, de créer de belles ombres, des aspérités, du relief. Des surfaces trop lisses deviennent tristes et fades dans la lumière.
Une couleur donne le ton : le rose.
B. D. Nous avons en effet choisi de faire d’une couleur le fil rouge du Cap d’Antibes Beach Hotel. En premier lieu pour donner de la joie aux intérieurs mais aussi, plus techniquement, pour atténuer la réverbération du soleil sur le blanc, omniprésent. Ce rose évoque un peu Palm Springs, un peu la Méditerranée, mais aussi l’Amérique du Sud, Luis Barragan…
Le bar est l’un des points d’orgue de votre réalisation…
B. D. Nous voulions créer un point de rendez-vous dans l’idée d’une structure Bauhaus plantée au bord de la Méditerranée. Ce sont des références de bâtiment de Tel Aviv qui nous ont inspirées. J’ai donc dessiné cette forme archétypale, ronde, coiffée d’un toit en débordement : c’est justement celui-ci qui créé l’ombre et la finesse de la silhouette du bar — encore une histoire de proportion…
Comment revoit-on le décor d’un restaurant étoilé qui s’intègre à un hôtel ?
B. D. Les Pêcheurs est une institution à Antibes. Le chef Nicolas Rondelli y maintient son étoile depuis des années. L’idée était donc de twister les codes de l’hôtel dans une façon plus formelle et plus habillée. Si on va en maillot de bain à la plage, on sort la belle robe pour aller au restaurant ! Nos choix graphiques évoquent une Italie très élégante, un certain modernisme. En le dessinant, j’avais en tête ces cafétérias de fondations artistiques : toujours chicissimes sans être coincées. Nous avons par exemple sublimé l’idée de la tomette en la remplaçant par un travertin rouge au sol.
> Beach Hotel Cap d’Antibes. 10 Bd Maréchal Juin, 06160 Antibes. Réservations.
Lire aussi : L’incroyable renaissance de l’hôtel Carlton par Tristan Auer