Visiter la nouvelle boutique de Charlotte Chesnais fait l’effet d’un vol au-dessus des nuages. En ce matin pluvieux de janvier, elle vient d’ouvrir officiellement ses portes, après un dernier coup de polish sur les parois translucides qui donne tout son relief à l’écrin de poche réalisé par l’architecte hollandais Anne Holtrop.
Organique, fluide et aérien
Jeux d’opacité, absence de matériaux précieux… La boutique serait-elle en rupture esthétique avec l’univers créatif de Charlotte Chesnais ? Sensuelles et enlevées, les courbes moulées sur l’acrylique recyclé et sur l’escalier qui mène à l’étage évoquent pourtant le langage sensible de la créatrice.
L’architecte Anne Holtrop, qui avait également dessiné la première adresse Charlotte Chesnais de la rue d’Alger, est à la réalisation théorique et pratique de cette nouvelle boutique. A rebours des codes feutrés du genre, dans la continuité de son travail en commun, le duo a pensé un espace cathédrale tout en rondeur qui décuple le champ des possibles de cet espace XXS. Avec la verticalité comme mot d’ordre, un élément monolithique translucide se déploie au centre de la pièce, comme une cascade d’eau figée dans laquelle viennent s’incruster les collections.
Les courbes représentent un véritable langage dont la créatrice use aujourd’hui afin de réécrire sans cesse ses collections. « J’ai l’impression que j’ai posé les bases de mon style dès ma première collection : organique, fluide, aérien, sculptural, en même temps très « classique’… C’est comme si je m’étais inventé un alphabet avec lequel je compose aujourd’hui. »
Il n’en a pas toujours été ainsi. Charlotte Chesnais prend son envol comme créatrice de bijoux auprès de Nicolas Ghesquière chez Balenciaga. Alors styliste de mode, elle se voit confier le soin d’imaginer une ligne événementielle. La saison suivante, le directeur artistique renouvelle sa demande. Charlotte dessinera chaque collection bijoux de Balenciaga jusqu’au départ de Nicolas Ghesquière pour Vuitton, en 2012.
Le bijou d’artisan par Charlotte Chesnais
A l’époque, se souvient-elle, biberonnée à l’école Ghesquière qui préfère voir les idées en action plutôt que dessinées sur le papier, elle passe énormément de temps dans les ateliers de la marque. « Je restais des journées entières auprès des artisans à les voir modeler, à apprendre de leurs gestes. Nous avions mis en place un espèce de ping-pong créatif afin de dessiner en 3D mes idées. »
Refusant de suivre Nicolas Ghesquière chez Vuitton, marque qui ne pouvait lui assurer qu’un poste de styliste mode — « l’idée d’abandonner le bijou me fendait le cœur, c’était comme si j’avais enfin trouvé le langage qui me correspondait » — Charlotte lance sa marque en 2015. « Je n’avais aucune velléité, j’y suis allée naïvement. Dès la première saison, quinze boutiques me suivaient et revendaient mes bijoux ! » Le bracelet Bond et les boucles d’oreille Saturne faisaient déjà parties des réjouissances, désormais élevés au rang de best-sellers.
Depuis, les bijoux de la marque ont conquis aussi bien le grand public que le star-system. Sans jamais faire de grand écart, en respectant toujours ce langage établi dès les premières heures. De nouvelles écritures se développent néanmoins, comme celle de la chaîne, un objet totem parmi les designers de bijoux. « C’est quelque chose qui m’obsédait depuis un moment, un exercice particulièrement difficile auquel je souhaitais me frotter. A mon sens, une chaîne doit être équilibrée, signée et en même temps très simple pour vieillir le mieux possible. Je souhaitais aussi qu’elle aille à un homme autant qu’une femme. »
Charlotte Chesnais XXL
Elle l’avoue, elle aurait très bien pu dessiner des tables ou des petites cuillères. Si c’est le bijou qui l’a happé, elle ne le conçoit pas autrement qu’un objet de la vie quotidienne, avec le beau et l’usage en tête : « Je rapproche le design d’un bijou à celui d’un objet industriel. Au-delà de sa fonction, j’ai un besoin vital que chez moi tout (ou presque !) soit joli. »
Et de continuer : « A l’époque de Balenciaga, j’avais la chance de pouvoir conserver quelques prototypes de mes collections. J’aimais les poser sur ma table basse en guise de décoration, je les ai toujours vus comme de petites sculptures. Il est primordial dans mon approche que le bijou soit aussi beau porté que posé, qu’il ait une autre vie hors du corps. » Depuis, la façon dont certaines de ses amies twistent l’usage de l’un de ses bijoux lui en inspire également de nouveaux…
Depuis, petite sculpture est devenue grande. A l’occasion du Festival de la Mode de Hyères, d’abord, où elle présidait en 2019 le jury du concours dédié aux accessoires, Charlotte Chesnais a fait produire des versions XXL de ses bijoux, exposés dans le bureau de Marie-Laure de Noailles. Cet hiver, c’est grâce à Loro Piana que la créatrice a mis au monde ses premières pièce de design décoratif, en dessinant trois chandeliers reprenant les courbes qui lui sont chères.
Inclusivité et durabilité
La question du genre n’en est d’ailleurs pas une chez Charlotte Chesnais. Consciente que ses courbes parlent plus facilement à un public sensible à une esthétique féminine, elle ne créé jamais avec un genre en tête : « Beaucoup d’hommes sophistiqués portent aussi mes bijoux » assure-t-elle. La preuve avec sa plus récente collection, Alphajewels, une série de 26 lettres à porter en pendentif.
Et la durabilité dans tout cela ? Chaque bijou s’assortit d’une garantie qui lui permet d’être déposé pour repolissage une fois par an. « Si l’on ne peut pas encore garantir de mode de production écologique dans le secteur, autant faire que les bijoux durent toute une vie — ou plus. » Le packaging fait lui aussi l’objet de recherche constante, façonné de bois dans de jolies formes, « afin que celui ou celle qui se voit offrir le bijou donne aussi à son écrin une seconde vie. » De l’importance du beau à celle de la réinvention, il n’y a qu’un pas…
> Charlotte Chesnais. 10 Rue d’Alger, 75001 Paris et 169 boulevard Saint-Germain, 75006 Paris. Site internet.