Quatre créatrices de bijoux qui ont tapé dans l’œil d’IDEAT

La jeune garde des designers de bijoux apporte son grain de folie à ce monde feutré et enchanteur. Leurs collections s’apparentent à des sculptures sur la peau. Des trésors audacieux qu’on ne demande qu’à adorer. Brillant !

Elles sont jeunes, ont un talent fou et imaginent des bijoux très contemporains pour des femmes qui y succombent, comme cela arrive pour un sac de prix : dans l’instant. La jeune garde joaillière met la barre haut et s’impose par sa vision artistique iconoclaste. En bousculant les conventions, cette génération s’inscrit dans la lignée d’une Line Vautrin ou d’une Vivianna Torun Bülow-Hübe, qui ont, elles aussi en leur temps, créé des merveilles « surtout pas comme il faut » dans les années 40 à 60.

Des bijoux intemporels

Leurs boutiques-écrins ? Rien de petit-bourgeois : elles sont hors normes, architecturées, originales et rafraîchissantes. En détricotant les convenances, ces créatrices réfléchissent à de nouvelles manières de porter un bijou, à son interaction avec le corps. Leurs créations se calent entre nos doigts, se posent à cheval sur nos articulations, s’entrecroisent, opèrent des loopings en apesanteur et mettent nos sens en émoi. Cette confrontation avec le design vient comme la cerise (en grenat) sur le gâteau pour des pièces pas si « fantaisie » que ça, car faites aussi pour être transmises ou collectionnées, selon notre degré d’addiction sur l’échelle des « croqueuses d’or ».

Si le bijou demeure intemporel, il n’en respecte pas moins des tendances. Aujourd’hui, il se donne un air vieilli, accidenté (martelé, déformé, patiné), car on adore deviner la main derrière le savoir- faire. Et il vit un paradoxe : combiner lignes fines et volumes généreux, mais atypiques. Double ou triple, l’objet s’accumule, coule souplement sur le dessus d’une main, ou, comme un serpent, se déploie sur le poignet, s’enroule autour de notre cou, virevolte à nos oreilles telle une comète douée d’une vie propre.

Des pièces modernes et charmantes

Le mystère de son architecture vient de sa construction à partir d’anneaux d’or, d’argent ou de vermeil (grosse tendance) dont les circonvolutions complexes emplissent l’espace. Là-dessus se greffent une goutte d’émail coloré, des ribambelles de pierres fines ou un unique et onyx. À côté de ces fantaisies, certaines créatrices proposent des mini-collections plus joaillières, piquées de pierres précieuses, mais chaque pièce reste cool, moderne, charmante. Jamais de bling, c’est tout le propos de ces artistes…


1/ Pascale Monvoisin, le goût des cailloux

Comment une navigante d’Air France devient-elle créatrice de bijoux ? Grâce à une escale à Jaipur ! « Cette ville est la plaque tournante des pierres du monde entier et j’y ai eu un coup de cœur pour un lot de turquoises. Leurs différents tons bleu-vert, mordorés et nervurés me fascinent! Ensuite, j’ai trouvé un joaillier sur place », rapporte Pascale Monvoisin, qui dessine et sculpte depuis longtemps. Elle croque son idée sur un bout de papier, explique avec les mains le bijou qu’elle souhaite à l’artisan indien… Et la rencontre a si bien fonctionné qu’elle travaille toujours avec lui. « Les copines m’ont commandé des pièces, mon mari m’a encouragée, je me suis donc lancée en 2010 », explique la jeune femme, agréablement étonnée de son succès.

Associée avec une ancienne stagiaire, Amélie, elle dirige son studio de création, forte d’un agent à New York, de quinze collaborateurs et de deux boutiques à Paris, dont la dernière a ouvert en octobre 2020. Vampé par l’architecte Valériane Lazare, l’espace combine travertin rose et pierres apparentes. Le mobilier, dessiné par Pascale Monvoisin et son équipe, se compose d’une table d’aluminium brut et de tabourets rustiques aux coussins rebrodés à la main pour sublimer les talismans que l’on s’arrache. Si le point de départ créatif fut ces turquoises qui illuminent la peau, aujourd’hui s’y ajoutent de séduisantes labradorites, améthystes et citrines.

La signature Monvoisin

Les fashion’s girls reconnaissent la signature Monvoisin aux fins éléments de métal précieux incrustés artisanalement sur une gemme, un saphir par exemple, ou aux légères gravures exécutées à même un cristal de quartz rutile (naturellement traversé de lamelles ou de filaments dorés, comme le rayonnant cœur Gabin) ou encore à ses chaînes très travaillées. Pascale dessine, fabrique ses maquettes, choisit ses pierres une à une, tout en rêvant aux sublimes colifichets de Robert Mapplethorpe, composés d’une plume et de simples cailloux.
> pascalemonvoisin.com

De gauche à droite : la créatrice Pascale Monvoisin, bague Sunday Courtoise et Collier personnalisable Numéro 2. Choisie par ses soins, chaque pierre est unique.
De gauche à droite : la créatrice Pascale Monvoisin, bague Sunday Courtoise et Collier personnalisable Numéro 2. Choisie par ses soins, chaque pierre est unique. DR

2/ Charlotte Chesnais en orbite 

Volupté des courbes, précision des formes, Charlotte Chesnais est la virtuose des envolées circulaires d’argent ou de vermeil, jetées dans l’espace et à la torsion gracieuse. Avec un esprit mathématique et des méthodes scientifiques, notre créatrice expérimente sans arrêt. C’est en enroulant un câble téléphonique autour de son poignet, jusqu’au pouce, qu’est né le bracelet Bond et c’est après des dizaines d’essais qu’elle a trouvé le truc pour que sa bague Saturn se glisse… entre deux doigts.

« Je privilégie les petites séries »

Ces idées très FabLab, Charlotte Chesnais les a utilisées chez Balenciaga, où elle fut styliste auprès du directeur artistique Nicolas Ghesquières : « Tout a commencé le jour où Nicolas m’a demandé un projet de bijoux pour un défilé. J’ai adoré travailler ces pièces aux dimensions proches du design, qui collent aussi avec ma passion des objets… je peux passer trois heures avant de choisir une fourchette ! » Charlotte Chesnais continue d’ailleurs de collaborer avec la mode, notamment avec la maison Paco Rabanne, qui lui doit sa ligne de bijoux et pour laquelle expérimentation et recherche de tendances ont été encouragées. « En revanche, avec ma propre collection, j’ai plutôt en tête des bijoux qui matchent partout, aux formes équilibrées. Je privilégie les petites séries, qui s’inscrivent dans le temps et qui, je l’espère, deviendront des classiques », poursuit-elle.

Une gamme de bijoux colorés

On retrouve ses précieuses ellipses dans sa nouvelle boutique, vampée par un autre obsédé de la recherche, l’architecte néerlandais Anne Holtrop. Les 40 m2 offrent une expérience radicale aux accros de ces merveilles, Charlotte Chesnais ayant reproduit certaines de ses créations au format XXL, les muant ainsi en sculptures disposées sur une sorte de banquise en acrylique aux tiroirs taillés à même le bloc. La dernière gamme, de couleur joyeuse, vient d’émaux incrustés sur certains des modèles qui se lovent autour de nos cous, de nos bras, de nos mains, tels de somptueux reptiles.
> charlottechesnais.fr

De gauche à droite : Charlotte Chesnais, boucles d’oreilles Saturn Blow émaillées Medium et collier Chaîne Turtle.
De gauche à droite : Charlotte Chesnais, boucles d’oreilles Saturn Blow émaillées Medium et collier Chaîne Turtle. DR

3/ Marie Lichtenberg, les Indes fabuleuses

Faire entrer un maximum de complexité sur quelques centimètres carrés, c’est le truc de Marie. Émaillage, guillochage, sertissages spéciaux, or brossé ou bains d’or, il faut que la pièce soit lourde, baroque et joaillière, mais, chic ultime, qu’elle conserve un style décomplexé. Marie Lichtenberg avoue que le goût des formes sophistiquées et précieuses lui vient de sa mère antillaise, collectionneuse de bijoux anciens.

« Un jour, j’ai voulu faire réaliser en Inde, pour ma fille, un bijou à partir d’un collier de forçat créole présent dans ma famille depuis des générations : un symbole de la libération de l’esclavage et de nos racines. En plus de ce cadeau, je suis rentrée de voyage avec 40 pièces… que j’ai vendues en 48 heures. » Ce sera le starter. Imaginer des bijoux a toujours été le hobby de cette ancienne journaliste du magazine Elle. Celle-ci a fait son entrée dans l’univers de la mode grâce à des blouses brodées rehaussées de boutons précieux réalisés au Gem Palace, caverne d’Ali Baba de la joaillerie à Jaipur.

Qualité artisanale dans chacun de ses bijoux

« Elles ont été remarquées par Marie Gas, qui les propose dans sa boutique, By Marie, et auxquelles elle a ajouté mes bijoux nés il y a un an », explique Marie Lichtenberg, qui passe sa vie entre ses ateliers de Mumbai et ceux de Jaipur, tout en dirigeant son entreprise de sept personnes, un corner au Bon Marché et diverses boutiques ou sites sélectifs (Montaigne Market).

Les trésors de Marie Lichtenberg oscillent entre bagatelle joaillière de maharani, pompe victorienne, rigueur Bauhaus et miniatures contrastées. La preuve avec ce barillet à six faces, copie d’un fermoir du XVIIIe siècle, qui mêle émaux multicolores au savoir-faire indien artisanal et se traduit en breloque précieuse, unique et gaie comme un bonbon. À déguster sur un cordon de soie, caché dans un pochon de Madras brodé main au Cachemire. Éblouissant !
> marielichtenberg.com

De gauche à droite : Portrait de Marie Lichtenberg, ensemble de colliers. Chaque locket est vendu sur un lien long pouvant se porter en double tour.
De gauche à droite : Portrait de Marie Lichtenberg, ensemble de colliers. Chaque locket est vendu sur un lien long pouvant se porter en double tour. DR

4/ Géraldine Guyot pour l’amour de l’art 

Crayons de couleur, feuilles de papier, c’est tout ce qu’il faut à Géraldine Guyot pour imaginer un modèle avant d’y appliquer une pierre choisie avec amour. « Je fais ensuite fabriquer des moules et les formes de mes pièces, de manière à tracer le chemin qui mène à la représentation exacte de ce que je veux », explique Géraldine Guyot, reconnue pour ses chapeaux colorés tendance et pour ses sacs ultra-féminins vendus sous la marque D’Estrëe, née en 2015. Elle venait d’avoir 23 ans. Son sac Lucio, déjà pensé comme un bijou avec sa poignée en aluminium cuivré, semblable à un bracelet-manchette, aurait dû nous mettre la puce à l’oreille, car voici que notre chapelière se lance cette année dans une première ligne très aboutie de bijoux.

Des bijoux arty

De cette collection très arty, on retient notamment la paire de boucles d’oreilles Sonia, conçues tels des pendules en laiton plaqué or et ornés de lapis-lazuli ou d’autres pierres semi-précieuses. « Avec des parents collectionneurs qui ont toujours couru les expositions, je suis très immergée dans l’art, attachée au dadaïsme et aux ready-made de Marcel Duchamp. Mais Cindy Sherman, Bridget Riley et Raymond Pettibon font aussi partie de mon panthéon », confie Géraldine Guyot, qui songe déjà à marier fashionables bibis et bijoux un brin perchés sous forme de breloques décoratives épinglées dessus.

L’ancienne étudiante de la prestigieuse Central Saint Martins, à Londres, section histoire de l’art, s’intéresse de près à différents mouvements artistiques et ses bijoux s’en font logiquement l’écho à travers leurs noms de baptême comme Sonia (Delaunay) ou Louise (Bourgeois). On aime d’ailleurs beaucoup l’intrigante esthétique de la double bague Louise, avec sa pierre de jaspe dalmatien. Géraldine Guyot s’est installée à New York, il y a quelques semaines, et compte bien en profiter pour y déployer sa jolie marque référencée.
> destree.com

De gauche à droite : la co-fondatride d’Estree Géraldine Guyot,  double-bague Louise réalisée à la main en laiton plaqué or et  boucles d’oreilles originales Mini Sonia.
De gauche à droite : la co-fondatride d’Estree Géraldine Guyot,  double-bague Louise réalisée à la main en laiton plaqué or et  boucles d’oreilles originales Mini Sonia. DR