Vibrant, vertigineux, exaltant, « Babylon», le dernier film de Damien Chazelle est à l’image de l’histoire qu’il raconte. Celle de la naissance explosive de l’industrie cinématographique, quand Hollywood restait encore à inventer. Traversant les années 20, le scénario dépeint la décadence du muet et l’émergence du parlant dans un Los Angeles qui sortait littéralement de terre. « On est passé d’une ville désertique, essentiellement rurale, à l’une des plus grandes mégalopoles du monde en moins d’une décennie » souligne le réalisateur qui s’adresse à Florencia Martin pour reproduire cette effervescence architecturale à travers ses décors.
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« Babylon», entre chaos et flamboyance
Entre décors réels et reconstitués, la cheffe décoratrice – qui avait déjà travaillé sur différents chapitres du sud de la Californie pour Blonde ou Licorice Pizza – parvient à retranscrire l’incroyable bouillonnement technologique et urbanistique qui traversait alors la ville, entre chaos et flamboyance. Damien Chazelle n’a d’ailleurs pas choisi d’intituler son film « Babylon» par hasard : « Bien que l’ère du muet soit liée aux années folles, je pense que l’atmosphère de l’époque relevait plutôt du Far-West. Et si beaucoup de bâtiments étincelants et plateaux de tournage sont sortis des cendres, les dégâts humains ont été considérables ».
Bric et broc dans le désert
Consciente des défis décoratifs posés par le scénario, Florencia Martin devait aussi répondre aux désirs de Damien Chazelle qui « ne voulait pas d’un film d’époque truffé de clichés » et souhaitait des lieux aussi authentiques que possibles. Décrivant une réalité plus complexe qu’on l’imagine, « Babylon» explore les contrastes qui traversent Los Angeles avant qu’elle ne devienne tentaculaire. « On a affaire à une ville qui se développe incroyablement rapidement et voracement » note la cheffe décoratrice.
Pour reproduire cette atmosphère en pleine mutation, l’équipe multiplie les repérages. « Recréer Los Angeles d’il y a cent ans nous a parfois conduit à la périphérie de la ville d’aujourd’hui. Là où il subsiste de grandes étendues vierges et des orangeraies » confie Damien Chazelle. Un cadre rural où Florencia Martin et son équipe de 160 personnes vont par exemple construire le Kinoscope, studio de tournage dans lequel le personnage de Nellie LaRoy fait ses débuts.
En tous points semblable à ceux l’époque et bâti sur un terrain vague (qui permettait au réalisateur d’intervenir à 360°), cet amalgame de planches et de toiles est assemblé avec des clous pour cadrer avec une époque où la vis n’avait pas encore inventée. « Ces studios dépouillés étaient des bulles de fantaisie surgissant en plein désert dans lesquelles les décors de films étaient alignés les uns après les autres » raconte Florencia.
Dans l’infernale cacophonie qui accompagnait les tournages muets, la caméra de Damien Chazelle virevolte alors d’une scène à l’autre, passant de la jungle à une cuisine en flamme jusqu’au plateau de La Ruée vers l’or où joue Nellie.
Décorum historique
Florencia Martin utilise aussi différents bâtiments d’époque ayant survécu jusqu’à nos jours. Le Los Angeles Theatre (dont la façade est arrangée pour correspondre à celle de 1926) pour les scènes d’avant-première.
Et quelques adresses historiques pour accueillir les légendaires fêtes qui rythmaient Hollywood. Comme la Villa Guasti – demeure du chorégraphe Busby Berkeley – ou encore le château de Shea dans laquelle se déroule la frénétique séquence d’ouverture. « Même si elle est en réalité cousue à partir de huit emplacements différents » avoue la cheffe décoratrice qui aménage par exemple la salle de bal dans le hall d’entrée du mythique Ace Theatre (construit à l’initiative de Charlie Chaplin et Douglas Fairbanks pour y projeter leurs films).
Aucune icône du design en vue en cette période préindustrielle, mais l’équipe se tourne vers « History of Hire » – un magasin d’accessoires de Los Angeles – pour trouver le mobilier mais aussi le matériel technique de l’époque. « Ils ont une formidable collection de vieilles caméras et microphones des années 20 qui ajoutent beaucoup de réalisme au film » confie Florencia.
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Car si « Babylon» raconte les grandeurs et décadences qui ont accouché d’Hollywood, le film narre aussi comment la technologie et l’urbanisation ont accompagné cette folle dynamique. « Los Angeles est un personnage de l’intrigue à part entière, avec sa propre courbe de développement » abonde Damien Chazelle selon qui toute cette histoire reste au fond très américaine : « Celle d’un groupe d’outsiders plantant leur tente en plein désert, et construisant toute une industrie à partir de rien ».
> « Babylon» de Damien Chazelle, en salles le 18 janvier