Dans la campagne du Luberon, l’architecte Rabih Hage a transformé une ancienne grange du XVIIe siècle en une maison familiale, alliant préservation du patrimoine et design contemporain. Ce projet, né d’une découverte fortuite, reflète un dialogue constant entre héritage et vision contemporaine. Intérieurs et extérieurs témoignent de sa vision unique, où les traces de l’histoire côtoient des créations d’aujourd’hui soigneusement sélectionnées.
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Il était une fois dans le Lubéron
« La maison que nous étions venus visiter ne nous a pas séduits. En revanche, le terrain, si ! En particulier l’ancienne grange abandonnée envahie de végétation qui s’y trouvait. » Voici comment Rabih Hage, architecte installé à Londres qui multiplie les projets à travers le monde, jette son dévolu sur ce qui deviendra sa résidence de vacances. La bâtisse pour laquelle le couple s’était déplacé est vite oubliée, remplacée par un projet beaucoup plus important : celui de rénover l’étable délaissée.
L’aventure, qui démarre en 2007, ne se termine qu’en 2013. « Il ne restait plus grand chose de cette grange du XVIIe siècle, avoue l’architecte. Bâtie en 1695, elle était restée saine, mais une bonne partie de son architecture avait disparu avec le temps. L’objectif premier était alors de sauver ces vestiges, ce patrimoine, même si certains pourraient dire qu’il ne s’agissait que d’une grange. Je me suis lancé alors dans l’un des projets les plus émotionnels de ma carrière. »
Depuis Londres, Rabih Hage dessine des plans, les soumet à son épouse, tentant de créer leur maison de famille rêvée. Après de nombreuses discussions et dessins, un projet se fige sur le papier. « Ce n’était pas simple : je devais beaucoup déléguer aux artisans présents sur place, résidant à Londres pour mon travail. Mais j’ai appliqué à mon propre projet ce que je dis toujours à mes clients : ce n’est pas grave si on se trompe, on peut toujours ajuster par la suite. Je dirais que 70% du projet était planifié… et 30% improvisé. Les artisans interprétaient parfois les plans à leur manière, créant des accidents, mais toujours quelque chose d’intéressant. Une sorte de sculpture organisée. » Une rencontre fruit du hasard qui donne forme à une bâtisse à la croisée des époques.
Conserver la mémoire, affirmer l’intervention
Le premier défi inhérent à ce projet réside dans la préservation de ce bâtiment abîmé par le temps. Une fois dégagée de la végétation qui la recouvrait alors, la grange dévoile des murs en pierre ancienne que l’architecte décide de sauver et d’intégrer à ses dessins dans leur état le plus pur. Les murs constituent ainsi une base sur laquelle tout le reste du projet vient s’articuler, toujours avec en tête la volonté de préserver le contraste entre les éléments structurels préexistants et les travaux réalisés.
« Conserver ce qui s’offrait à nous était crucial dès le départ. J’ai toujours appliqué cette philosophie à mes projets, ce qui explique certainement pourquoi je travaille majoritairement sur la transformation de bâtiments préexistants. À mes yeux, il ne faut pas tout effacer pour recommencer à zéro, mais rendre les parties neuves intéressantes et belles, tout en créant du contraste, conférer à ces ajouts une personnalité propre, rendre l’intervention visible au premier regard. » Ainsi, les murs en pierre restent érigés, complétés par des cloisons contemporaines, affirmant leur identité moderne.
La façade, autrefois recouverte de plantes grimpantes, fait elle aussi l’objet d’un important travail. Pour créer un sentiment d’intimité – « vivons bien, vivons cachés » rappelle avec humour Rabih Hage – des murets sont érigés autour du bâtiment, complétés par des haies et de nombreux arbres, formant un cocon de nature protégé des regards indiscrets. Ce paysage est également complété par une piscine et une terrasse abritée d’une pergola, se transformant en véritable pièce à vivre durant la période estivale.
Un décor à l’image de Rabih Hage
L’architecture intérieure occupe lui aussi une place centrale dans le réaménagement de la demeure. « Je suis passionné par le design de collection, confie Rabih Hage. À Londres, j’ai créé un espace d’exposition présentant le travail des jeunes créateurs, à la frontière entre l’art et le design – ce que l’on appelle désormais le « collectible ». Les pièces de designers que j’ai mis en avant, à l’image de Johnny Swing et de Piet Hein Eek, dont je suis l’un des plus grands collectionneurs, campent aujourd’hui notre propriété du Lubéron. La décoration est un reflet de ma personnalité, une esthétique qui m’est propre. » Un intérieur très personnel, où les pièces signées côtoient du mobilier chiné aux puces et des objets dessinés par l’architecte lui-même.
Les murs d’origine, en pierre, sont sans équivoque la pièce de résistance du décor. « Dormir près d’un mur érigé il y a plusieurs siècles, c’est une expérience hors du commun. Nous avons l’impression que la maison nous protège, que ce pan de mur est un message du temps, son témoin. C’est une expérience remplie d’émotions. Et puis c’est aussi une façon de garder cette mémoire. Le bâtiment doit être respecté, car nous ne sommes que de passage dans ce lieu. Certes il faut y vivre, l’occuper, le rendre vivant, oui, mais aussi savoir le préserver, pour les futures générations. »
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