C’est sur le souvenir, l’identité, la résilience et le sens de la communauté que travaille l’Atelier Tsuyoshi Tane Architects, une entité installée à Paris, qui a développé le concept « d’archéologie du futur ». Une démarche particulièrement lisible dans la scénographie réalisée à l’hôtel de la Marine, à Paris. La scénographie de l’espace muséal consacré aux collections de la Fondation Al-Thani, abritée dans une aile de l’hôtel de la Marine, à Paris (qui servait d’ancien entrepôt au mobilier royal au XVIIIe siècle), est sans aucun doute l’une des plus belles réalisations de l’Atelier Tsuyoshi Tane Architects (ATTA).
L’archéologie du futur
Où l’« archéologie du futur », qu’ils revendiquent, se loge-t-elle ? Dans le style rocaille, cher au siècle des Lumières, dont ils se sont inspirés pour plonger le visiteur dans une pluie d’or, dès la première salle. Ce qui suit est tout aussi raffiné, envoûtant et spectaculaire, grâce aux éclairages sublimes, aux cartels lisibles (à souligner !), au parcours brillant qui retrace cinq mille ans d’histoire à travers des pièces d’une beauté renversante, statues, estampes, céramiques, textiles, bijoux… rendant hommage aux cultes anciens, à la philosophie orientale et à la nature.
C’est ce même éloge de la lumière qu’exprimait l’installation éphémère Light is Time, organisée pour la marque horlogère japonaise Citizen, à la Triennale de Milan, lors de la Design Week 2014. Par cette mise en scène de 80 000 platines de montres suspendues (la plaque percée accueillant toutes les pièces mécaniques dans le boîtier), créant une constellation scintillante, la scénographie proposait une réflexion sur le rapport entre la lumière et le temps, lequel se mesurait autrefois par l’observation des ombres qui s’allongent tout au long de la journée. Même travail sur la lumière avec l’exposition « Florae », orchestrée à Paris en 2021, et qui mettait en vis-à-vis la haute joaillerie de Van Cleef & Arpels avec les photos de l’artiste japonaise Mika Ninagawa. Une déclinaison de la fleur se reflétant dans un jeu de miroirs, inventant un jardin éphémère.
Après l’underground, l’überground
Si Tsuyoshi Tane, le fondateur d’ATTA (qu’il a lancé en 2017 après avoir cofondé DGT Architects en 2006), est né à Tokyo, il vit et travaille à Paris. Sa structure réalise maisons individuelles, bâtiments publics, projets d’urbanisme et scénographies en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. Une trentaine de collaborateurs, d’architectes, de designers et de créatifs internationaux, travaillent dans cet atelier (et non « agence », nous précise-t-on) éclairé par une verrière zénithale et qui se déploie au dernier étage d’un ancien parking du XIIe arrondissement.
Les maquettes en 3D occupent une grande partie de cet espace industriel dévolu à l’archéologie du futur, où poussent quelques plantes vertes. Car chez ATTA, la végétation, même si elle est traitée de manière discrète, est importante. « La reforestation est l’une de nos préoccupations », confirme Tsuyoshi Tane, tel qu’en témoigne le projet d’urbanisme 388farm, qui sera livré en 2025 et consistera en une ferme longue d’un peu plus de deux kilomètres à travers Tokyo, le long de Tamagawa Josui, l’ancienne voie navigable. Une aire de détente et de rencontre au cœur de la ville ravivant ainsi le souvenir d’un lieu oublié.
À l’atelier, tout commence par une maquette et démarre en volume. Le virtuel est peu sollicité. Les savoir-faire sont valorisés, les matières basiques également, comme la terre qui recouvre les sols et les murs de Gyre.Food, le restaurant qu’ils ont conçu en 2019, au quatrième étage du complexe Gyre, bâtiment signé de l’agence néerlandaise MVRDV. Soit 1 000 m2 entre grotte, forêt, jungle et ruine antique, qui proposent de réfléchir, tout en déjeunant, au sort de notre planète. « Le XXe siècle a été celui de l’underground. Le XXIe sera celui de l’überground, poursuit-il, car il est vital aujourd’hui de travailler avec l’existant, avec ce qui a déjà été érigé au-dessus du sol. Il est salutaire de développer notre sens des responsabilités. »
Mais cette mémoire des lieux cache parfois des cicatrices sur lesquelles l’atelier se penche également, même s’il est préférable de temps en temps de les faire disparaître. C’est ce que raconte le Musée national estonien, situé à Tartu, réalisé en 2016 avec les architectes Lina Ghotmeh et Dan Dorell (encore sous la bannière DGT), destiné à redorer le blason de l’Estonie et à renforcer sa fierté. Ce bâtiment de 34 000 m2, conçu pour accueillir concerts, performances et expositions, a choisi pour site une ancienne base aérienne soviétique qui enfermait un passé douloureux. L’architecture est édifiée dans la continuité d’une piste d’atterrissage, son toit remontant vers le ciel comme une sorte de tremplin vers « l’espace infini ».
La mémoire comme fondation
Chez ATTA, tout débute par un voyage dans le temps, à la recherche des souvenirs qui le racontent. « Le plus souvent, c’est un processus savant et joyeux, explique Tsuyoshi Tane, qui nous fait parfois découvrir ce que nous ignorions, ce que la modernisation et la mondialisation nous ont fait oublier. » Suit alors le travail d’architecture à proprement parler. Mais c’est, en fait, sur le sens que l’agence se penche avant tout, afin d’utiliser la mémoire du lieu comme fondation de la future construction. « Nous aspirons à créer des choses qui n’ont jamais été vues, sans sombrer dans des projets complètement futuristes », révèle l’architecte.
Inauguré en 2020, le musée d’Art contemporain de Hirosaki, au Japon, est situé dans un ancien bâtiment de brique rouge, construit en 1900, et qui abritait des brasseries de saké dans un premier temps, puis de cidre dans un second. Face au ralentissement de la production de cidre, l’endroit s’est vu reconverti en entrepôts de stockage. Pour transformer l’un de ces bâtiments en musée, les murs ont été nettoyés de leur enduit de plâtre d’origine, afin de faire réapparaître les briques, et un toit jaune doré en titane (léger) a été posé afin de rappeler l’histoire de la cidrerie. Pour sa part, la réalisation du nouveau stade national de Tokyo fut le résultat d’un concours lancé par la ville en 2012, en prévision des Jeux olympiques de 2020 ; l’idée étant de créer un lieu de mémoire à la place du stade qui avait accueilli la manifestation olympique et paralympique de Tokyo de 1964 et qui avait été détruit.
Prévu pour être construit dans Meiji Jingu Gaien, l’enceinte extérieure d’un sanctuaire, le stade a finalement été bâti au Kofun, un ancien site funéraire. Il est entouré d’une forêt plantée d’arbres provenant de tous les territoires de l’archipel. De son côté, c’est sur la mémoire des pavés de la ville que le centre commercial de Yokohama, livré en juin 2020, a été édifié. Sols et murs de ses dix étages, comprenant boutiques, marché et magasins éphémères, sont habillés de carreaux représentant les plans de la cité.
Permanence et diversité
Pour le restaurant Maison, une ancienne cave à vin du XIe arrondissement de Paris livrée en 2019, la simplicité suffit à résumer son concept : une grande table près de la cuisine ouverte, éclairée par une lumière naturelle provenant d’une verrière. Sols et murs sont habillés de 22 000 carreaux de terre cuite, manufacturés à Bordeaux, à Fontainebleau et dans le sud de la France, renouant ainsi avec une certaine tradition présente dans les maisons françaises d’autrefois. C’est la fibre écologique et patrimoniale qui a motivé la réalisation du pavillon éphémère installé sur le parvis de la mairie de Paris, en 2018.
Le furoshiki est un tissu d’emballage réutilisable, donc durable, qui existe au Japon depuis le VIIIe siècle. Ses vertus esthétiques, culturelles et environnementales étaient donc expliquées dans ce pavillon conçu comme une grande boîte cadeau enrubannée. Ailleurs, la maison Todoroki (2018), dans le cœur de Tokyo, est implantée sur une aire ventée, humide au sol et sèche en hauteur.
C’est dans ce paradoxe climatique qu’a été érigée sur trois niveaux cette demeure aux larges baies vitrées et aux nombreuses orientations, offrant une immersion visuelle dans la ville et dans la nature. En 2036, ATTA livrera le nouvel Imperial Hotel, un établissement qui symbolisait la modernisation du Japon lors de sa construction à Tokyo, en 1890, par Yuzuru Watanabe. Après Frank Lloyd Wright, qui réalisa une seconde interprétation du lieu en 1923, et Takahashi Teitaro, une troisième en 1970, la quatrième version de cette adresse emblématique sera donc proposée par l’atelier parisien, qui a imaginé un bâtiment imposant, mixant les concepts de tour et de palais, tout en travaillant sur les thèmes de la permanence, de la profondeur, de la présence et de la diversité.
> Découvrir les autres projet de l’Atelier Tsuyoshi Tant Architects.