Comment une infrastructure nouvelle peut-elle se connecter à son environnement ? L’Atelier Luma, qui vient d’ouvrir ses portes dans le Magasin électrique, à Arles, répond au défi en assumant le choix d’une architecture vertueuse, entièrement conçue en matériaux locaux.
Entre Camargue, Crau et Alpilles, la ville d’Arles se situe au cœur d’un écosystème fragile et unique que le complexe artistique Luma a immédiatement décidé d’intégrer dans ses projets en créant l’Atelier Luma. Un concept consacré au « social design », courant du design qui collabore avec d’autres disciplines pour développer des projets au service des mutations de la société. La méthode ? Travailler avec des ressources et des industries locales en voie de disparition pour offrir un avenir à ces savoir-faire ancestraux inexploités. Comment ? En nouant, par exemple, des partenariats avec l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) ou avec l’école des Mines.
Après avoir occupé l’un des hangars du Parc des ateliers pendant quelques années, l’Atelier Luma vient enfin de s’installer définitivement dans le Magasin électrique, un lieu ambitieux réhabilité par les agences BC Architects & Studies et Assemble. « Cet ancrage initial dans un contexte social et environnemental bien précis qu’est le territoire d’Arles a façonné nos activités dans une perspective biorégionale. Ce que nous portons ici, c’est une méthodologie mise en place par une équipe multidisciplinaire, pas une recette. Le Magasin électrique est un prototype, un canevas, qui est lui-même né de façon organique », rappelle Jan Boelen, directeur artistique d’Atelier Luma, qui a contacté il y a quatre ans les deux agences d’architecture, lesquelles ont ainsi associé leurs savoir-faire et leurs connaissances.
BC Architects & Studies est un cabinet hybride qui imagine et réalise lui-même des « actes de construction » en vue d’un changement systémique dans le secteur du bâtiment. « Nous nous efforçons de concevoir des projets biorégionaux, low-tech, circulaires, beaux et inclusifs. Nous travaillons avec nos cerveaux et nos mains, en entreprenant des activités telles que la production de matériaux, l’enseignement et le prototypage », explique Laurens Bekemans, architecte et cofondateur.
Des valeurs partagées par le collectif Assemble. « Nous construisons seuls les réalisations que nous menons, nous avons donc une compréhension profonde de l’ouvrage », défend Joseph Halligan, cofondateur du studio londonien multidisciplinaire Assemble, dont les créations touchent les domaines de l’architecture, du design et de l’art. Fondée en 2010 pour imaginer un projet autoconstruit, l’agence s’est ensuite développée tout en conservant une méthode de travail démocratique et participative à l’origine d’ouvrages salués par de nombreux prix. Pour pouvoir collaborer, les équipes de BC Architects & Studies et d’Assemble (basées respectivement à Bruxelles et à Londres) ont travaillé trois semaines en résidence sur le site arlésien afin de rénover le bâtiment électrique situé dans l’immense parc des anciens ateliers de réparation de la SNCF. Selon leur méthodologie déjà éprouvée, les deux collectifs ont produit, avec des artisans et des professionnels locaux, la matière première de la construction, qui regroupe un centre de ressources, des bureaux, un lieu d’exposition, trois laboratoires et un atelier : concrètement, pour réenduire les façades, des tuiles récupérées ont été mélangées à de la chaux. « Nous avons mis à l’échelle une série de recherches effectuées par des personnes qui travaillent ici en nous appuyant sur une cartographie du territoire menée par les équipes depuis plusieurs années », détaille Joseph Halligan.
À l’intérieur, même méthode, pour réaliser les murs en pisé, Assemble et BC Architects & Studies ont fabriqué un agrégat de terre des carrières locales compressé. Mais, le plus spectaculaire, c’est le sol en terrazzo composé de tuiles cassées, recoupées puis disposées debout et dont le profil crée un motif. Le résultat évoque les couleurs de la région…
Les équipes d’architectes sont allées jusqu’à imprimer sur place, en 3D, les prises de courant, ont créé des parois à base de sel de Camargue, monté des panneaux acoustiques en déchets de tournesol mélangés à de la poussière de pierre. Les ateliers ont aussi été conviés à s’intégrer au projet : le « biolab » a fabriqué des tabourets en bioplastique pour l’atelier ; les pigments de végétaux invasifs extraits par le laboratoire des plantes tinctoriales ont été utilisés pour lasurer certaines cloisons… On peut citer aussi les carrelages au sol en terre rouge de Vallabrègues et l’argile imprimée en 3D qui constitue un système de refroidissement passif puisque l’édifice bioclimatique a évidemment été conçu sans climatisation malgré sa localisation sudiste. Les architectes ont plutôt fait le choix d’obstruer toutes les fenêtres de la façade sud du bâtiment. Un travail sur mesure à découvrir dans les faubourgs d’Arles dans ce lieu régulièrement ouvert au public.
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