Rencontres d’Arles 2023 : tout ce qu’il faut voir cette année

Voilà le programme de la 51e édition d'un festival incontournable, ainsi que nos trois expositions préférées cette année.

Perpétuer un festival voué à la photographie a-t-il encore un sens à l’ère où les images se multiplient à l’infini ? C’est ce à quoi les Rencontres d’Arles 2023, qui ont lieu jusqu’au 24 septembre, tentent de répondre en se faisant « la caisse de résonance » visuelle des sociétés d’aujourd’hui.

«Par l’art seulement, nous pouvons sortir de nous. » En citant Marcel Proust en ouverture de la conférence de presse du festival des Rencontres d’Arles 2023, la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, donnait le ton. Si la programmation de l’événement dirigé depuis 2021 par Christoph Wiesner et son adjointe, Aurélie de Lanlay, a toujours été riche, éclectique et diversifiée au fil des éditions, elle reflète particulièrement cette année une volonté d’engagement et d’ancrage dans les débats actuels.

Le rendez-vous incontournable de l’été pour les amateurs et les professionnels de la photographie met tout autant en lumière des figures émérites, des talents émergents, que des pratiques hybrides qui redéfinissent le médium et son champ d’application. Des expositions vont interroger le statut et la portée même de l’image en tant qu’archive.

Anonyme. Photo Shoot, tirage argentique, 1964-1969. Collection Art Gallery of Ontario, Toronto. Grâce aux généreux dons de Martha LA McCain, 2015.
Anonyme. Photo Shoot, tirage argentique, 1964-1969. Collection Art Gallery of Ontario, Toronto. Grâce aux généreux dons de Martha LA McCain, 2015. AGO

Résultat de la découverte de clichés des années 50 et 60, « Casa Susanna » représente ainsi des hommes travestis en femmes au foyer et dévoile une facette clandestine des États-Unis de cette époque.

« 50 ans, dans l’œil de Libé » revient, elle, sur le cinquantenaire du journal, dont les images publiées, guidées par l’expérimentation au service de l’actualité, composent une mémoire intime et collective. Un véritable voyage dans le temps s’opère avec ce genre de propositions, complétées par celles qui ouvrent une fenêtre sur les pans discrets de la carrière de grandes personnalités de la photographie et du cinéma, comme Agnès Varda, Wim Wenders, Gregory Crewdson ou Saul Leiter.

Si l’instantané est ici utilisé comme support tangible du passage du temps, il est aussi souvent l’occasion de vagabonder, dans un environnement proche en l’occurrence, comme en témoignent les expositions rassemblées dans la section « Géographies du regard », qui gravitent autour du territoire arlésien.

Qu’il s’agisse de montrer, d’éclairer, de dénoncer, d’apprendre, de révéler, d’interroger ou d’ouvrir de nouveaux horizons, le festival des Rencontres d’Arles 2023 s’impose comme un outil indispensable pour penser le monde d’aujourd’hui à travers une pluralité de regards qui rappellent l’importance de faire corps (et esprit) tous ensemble.


Les énigmes du réel

Saul Leiter. Ana, vers 1950. Avec l’aimable autorisation de la Saul Leiter Foundation.
Saul Leiter. Ana, vers 1950. Avec l’aimable autorisation de la Saul Leiter Foundation. Saul Leiter

Parmi les expositions les plus attendues, celle qui regroupe une sélection de photographies, de dessins et de peintures du maître de la couleur, Saul Leiter, n’est pas la moindre. Son travail, déployé autour d’un dialogue entre plusieurs langages – celui de médiums différents mais aussi celui de l’invisible et de l’inachevé –, révèle une vision singulière du monde, par fragments.

Attiré par les détails du quotidien, il photographie, peint et croque des scènes furtives de la vie ordinaire. Sublimées par des jeux de cadrage et de lumière inédits, elles se font le reflet du mystère de l’existence pour lequel l’artiste avait manifestement une fascination. Si ses peintures et ses dessins sont plus abstraits, ils renferment néanmoins en eux le fil rouge de Saul Leiter : le goût pour les compositions insolites dans lesquelles la couleur joue un rôle capital. Plus qu’une excursion dans les rues de New York, c’est avant tout dans une ambiance nébuleuse que son œuvre entraîne.

> « Saul Leiter, assemblages ». Au palais de l’archevêché, 35, place de la République.


Le cinéma découpé

Bertrand Mandico. Deux bombes accueillent l’homme, collage et encre, 2014. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Bertrand Mandico. Deux bombes accueillent l’homme, collage et encre, 2014. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. Bertrand Mandico

« Scrapbooks, dans l’imaginaire des cinéastes » plonge les visiteurs dans les planches de ces livres-objets hybrides, ici composés par des figures du 7e art du XXe siècle. À la frontière entre journal intime, album photo et carnet de collages, les cahiers présentés dévoilent un pan méconnu de l’univers créatif des Stanley Kubrick, Chris Marker, Marie-Laure de Noailles ou encore Agnès Varda.

Constitués d’images découpées, de notes, de coupures de presse ou de fragments de pellicule, ces scrapbooks s’offrent au regard comme les reliques d’une ère où courts et longs-métrages marquaient autant les esprits par leur approche expérimentale que par l’utilisation de la technique argentique. Après la 76e édition du Festival de Cannes, cette exposition ressuscite ces documents, lieux de grande liberté artistique, loin des dispositifs industriels auxquels sont soumis les films aujourd’hui.

> « Scrapbooks, dans l’imaginaire des cinéastes ». À l’espace Van Gogh, place Félix-Rey.


Regards féministes du Nord

Hallgerður Hallgrímsdóttir. Coupe de cheveux, 2021-2023. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Hallgerður Hallgrímsdóttir. Coupe de cheveux, 2021-2023. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. Hallgerður Hallgrímsdótti

L’image ou comment voyager avec l’œil et accéder à une ouverture sur le monde. Avec « Søsterskap » (« sororité », en norvégien), l’État providence des pays scandinaves est exploré au prisme de regards féministes intersectionnels. Selon une démarche qui oscille entre documentaire et œuvre conceptuelle est ainsi abordée la question de l’intervention des pouvoirs publics dans la sphère collective.

Un tel modèle de protection sociale met en lumière la vie de famille ou le travail, mais recèle aussi une part d’ombre, qui n’est pas omise. Parmi les artistes présentées, Emma Sarpaniemi, qui signe l’affiche du festival, propose une approche de la féminité à travers des autoportraits collaboratifs et performatifs. Ses images, colorées et décalées, mettent en perspective le système patriarcal confronté aux notions d’identité, d’imagination et de réel avec lesquelles la créatrice jongle avec brio.

> « Søsterskap, photographies contemporaines nordiques ». À l’église Sainte-Anne, 8, place de la République.


> Rencontres d’Arles 2023, jusqu’au 24 septembre prochain à Arles.