Joana Vasconcelos ne recule devant rien. En 2012, elle faisait rentrer Lilicoptère, l’hélicoptère de Marie-Antoinette, dans la galerie des Glaces du château de Versailles. Un bolide carrossé gold, scintillant de cristaux Swarovski et surmonté de plumes d’autruche rose flashy, tout droit sorti de son atelier lisboète.
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Cette année, elle a installé son Arbre de vie dans la sainte-chapelle du château de Vincennes. Soit 13 mètres de haut, 110 000 feuilles tissées main, au cœur du monument gothique. Une sculpture textile en hommage à la nymphe Daphné – qui, par un geste d’indépendance, se refuse à Apollon et se transforme en laurier –, à Catherine de Médicis, femme de pouvoir, et à la nature, nous invitant à respecter notre environnement.
C’est en 2005, avec A Noiva (« La Mariée »), que l’artiste portugaise fait une entrée fracassante sur la scène de l’art contemporain, à la Biennale de Venise. Un lustre magistral façon XVIIIe, de 5 mètres de haut, composé de 25 000 tampons hygiéniques, qui sera exposé dans le monde entier. L’an dernier, dans le cadre de la saison culturelle Utopia de Lille3000, elle installait deux Valkyries, dont une dans la gare de Lille Flandres, nommée Simone, en hommage à toutes les Simone (de Beauvoir, Veil…) et à toutes les femmes. Une créature de 40 mètres de fils de laine tentaculaires. Déesses guerrières, icônes de la mode, personnalités mythologiques, ménagères sans peur et sans reproche ou encore femmes de pouvoir composent le panthéon de Joana Vasconcelos.
Depuis ses débuts, l’artiste n’a de cesse d’interroger la figure féminine. À Versailles, elle n’évoquait « pas seulement Marie-Antoinette mais la marquise de Pompadour et toutes celles qui ont vécu dans ce château. Versailles était un lieu très contemporain à son époque, où se créaient les styles et les modes. On pratiquait des essais de couleurs, de tissus, de perruques. On bouleversait la tradition comme je le fais dans mon travail ».
En effet, ce dernier réinterprète le crochet des grands-mères portugaises. À l’heure où toute une scène de la création lusitanienne dépoussière l’artisanat et lui rend ses lettres de noblesse, l’artiste fait figure de pionnière. Voilà plus d’une dizaine d’années qu’elle a remis les savoir-faire nationaux sous les feux de la rampe. Son crochet détourné avait déjà recouvert une statue appelée Madame du Barry. Quant à ses fameux escarpins géants – baptisés Marilyn, Carmen Miranda, Dorothy, Priscilla –, ils sont composés de batteries de casseroles typiquement ibériques.
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Un univers vaste, onirique, subversif
Tout prend corps ici, les pieds dans l’eau, au bord du Tage à Lisbonne, dans cet atelier arrimé sur les quais, face au port et adossé au Museu do Oriente. Dans cet antre, une multitude de petites mains crochètent, cousent, brodent, tricotent, soudent et donnent naissance à des prouesses techniques nées d’un imaginaire prolifique. L’univers de Joana Vasconcelos est vaste, onirique, subversif. La capitale portugaise n’est-elle pas une terre d’expérimentations et de rêveries, où l’on a toujours scruté le large et les horizons nouveaux ? Une cité pour laisser son esprit voguer sans limites.
« Lisbonne est ma source d’inspiration. C’est dans la lumière du Tage que mon travail se définit. La ville influence ma façon de regarder. J’ai aussi cette chance merveilleuse d’avoir une véritable relation à l’Océan. J’aime ce rapport à l’Atlantique, cette vision permet de s’évader. Elle me procure un souffle poétique comme pour tous les Portugais qui, par le passé, n’ont fait que ça, rêver de partir vraiment. Lisbonne offre des vues incroyables et particulières qui nourrissent l’esprit de liberté, d’ouverture et permettent l’exploration et la contemplation. Prendre le temps d’observer est indispensable pour créer. »
Mais la créatrice est aussi « a casa » (« à la maison ») en France. Née à Paris en 1971, elle arrive avec sa famille dans la capitale portugaise en 1974, au moment de la « révolution des œillets ». « Si je n’habitais pas ici, je serais à Paris ! Mais Lisbonne est ma ville, j’entretiens un rapport intime avec elle. J’aime la mode, les expositions, le design, le luxe de Paris. Ce côté glamour n’existe pas au Portugal, mais nous avons une autre façon de rêver. »
Elle n’hésite pas à qualifier son Arbre de vie de projet à dimension mystique et magique. D’ailleurs, au printemps dernier, elle a participé à une retraite spirituelle dans la région de Montpellier. La France demeure donc une terre d’expressions et de recueillement pour cette artiste en quête de territoires intérieurs.
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