Bien que l’idée de modules d’habitat facilement déployables ne soit pas nouvelle, leur application systématique dans les contextes post-catastrophe n’a véritablement pris son essor qu’à partir des années 1970. Une période marquée par une prise de conscience croissante de la nécessité de réponses rapides et efficaces aux crises humanitaires. Malgré les contributions significatives apportées par dans le domaine de l’architecture d’urgence, des questions cruciales persistent : respect environnemental, cohérence formelle et matérielle par rapport aux contextes géographiques et socioculturels locaux, ou encore la pérennité de ces structures qui, conçues comme temporaires, finissent fréquemment par s’installer durablement. Face à ces défis, deux approches distinctes mais complémentaires sont apparues : la première privilégie l’utilisation de matériaux simples et de techniques traditionnelles, la seconde, quant à elle, mise sur des solutions high-tech, tant dans le choix des matériaux que dans les techniques de confection.
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L’innovation grâce à des matériaux simples et locaux
Plusieurs architectes ont développé des approches innovantes low-tech visant à faire face à ces problématiques d’urgence. L’architecte iranien-américain Nader Khalili, qui a breveté la technique du SuperAdobe dans les années 1980 en est l’uns des pionniers. Celle-ci consiste à remplir des sacs de terre locale, de les empiler en spirale, de les stabiliser grâce à du fil de fer barbelé puis de recouvrir le tout d’un enduit, mélange de terre et de chaux. Ces « éco-dômes » aux allures troglodytiques nécessitant uniquement des ressources locales sont non seulement durables et résistants, mais aussi rapides et faciles à construire. Fondée en 1991 par Nader Khalili, CalEarth continue de développer cette technique, proposant même des ateliers pour apprendre aux particuliers à l’utiliser.
Dans le même esprit, Shigeru Ban a imaginé, en 1995, suite au dévastateur séisme de Kobé, au Japon sa Paper Log House (comprendre Maison en rondins de papier), qui lui a valu le prestigieux prix Pritzker. Cette structure ingénieuse, utilisant des tubes en carton pour les murs, des caisses de bière remplies de sable pour les fondations et des bâches en plastique pour le toit, a révolutionné l’approche de l’habitat d’urgence. Son design simple, peu coûteux et facile à construire par une main-d’œuvre non qualifiée, a prouvé que ce type d’architecture pouvait être à la fois performante, simple, peu coûteuse, recyclable et locale.
Très engagé, l’architecte nippon fonde la même année l’ONG VAN (Voluntary Architect’s Network) qui vient en aide aux réfugiés de guerre et de catastrophe naturelles en créant des abris d’urgence sous l’égide du Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR). Shigeru Ban a ensuite appliqué et affiné sa méthode dans diverses situations de crise à travers le monde, notamment en Turquie (1999), en Inde (2001) et à Haïti (2010).
Autre nom à retenir, celui de l’architecte pakistanaise Yasmeen Lari, qui a apporté une perspective unique en s’inspirant des techniques de construction vernaculaires. Suite au tremblement de terre de 2005 au Pakistan, cette dernière a conçu des maisons à partir de matériaux locaux comme le bambou, la terre et la chaux. À travers cette approche, Yasmeen Lari implique les communautés locales dans le processus de construction, favorisant ainsi l’appropriation et la durabilité à long terme des projets. Son travail démontre brillamment comment l’architecture d’urgence peut s’inspirer des traditions locales pour améliorer la résistance du bâti aux catastrophes.
Ces différentes approches low-tech partagent un fil conducteur commun : l’utilisation ingénieuse de ressources locales et de techniques traditionnelles et/ou simples à destination d’une main d’œuvre non qualifiée afin de créer des solutions d’habitat d’urgence efficaces, durables et adaptées aux contextes locaux.
La high-tech au service de l’architecture d’urgence
À l’opposée du spectre, de nombreux architectes et designers s’orientent vers des approches high-tech qui tirent parti des avancées technologiques et des nouveaux matériaux, de la maison en kit à l’impression 3D.
En 2013, une collaboration entre la IKEA Foundation – fondée en 1982 qui aide les enfants et les familles victimes de la pauvreté et du changement climatique – et le UNHCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) a donné naissance à Better Shelter (ONG suédoise engagée dans la prise en charge des populations déplacées), marquant une avancée significative dans la conception de refuges préfabriqués. Ces unités, assemblables en quelques heures grâce à des outils basiques, offrent une meilleure isolation et une plus grande durabilité que les tentes utilisées habituellement. Déployées dans plusieurs camps, notamment en Grèce et en Irak, ces structures ont démontré leur efficacité… tout en soulevant des questions sur leur coût et leur adaptabilité à différents climats.
L’émergence de l’impression 3D à grande échelle a quant à elle ouvert de nouvelles perspectives prometteuses. Des entreprises comme ICON aux États-Unis et WASProject en Italie ont développé des technologies permettant d’imprimer des maisons en béton en quelques heures. En 2018, ICON a collaboré avec l’organisation New Story pour construire ce type de logements qui ne fait pas l’impasse sur l’esthétique dans une communauté rurale d’El Salvador, démontrant le potentiel de cette technologie dans des contextes de reconstruction post-catastrophe.
Autre innovation récente, le projet Essential Homes de Norman Foster, présenté à la Biennale de Venise 2023, démontre que haute technologie peut être synonyme de coûts réduits. Développé en partenariat avec Holcim, ces modèles s’architecture d’urgence offrent une solution durable et efficace, pouvant être érigée en seulement quatre jours pour un coût modique de 4 000 euros par unité. Entièrement recyclable, les Essential Homes reposent sur un système modulaire évolutif conçu pour s’adapter aux besoins changeants des habitants sur plus de 25 ans. Sa structure en forme de tunnel abrite un espace commun central, avec les couchettes d’un côté et les espaces humides de l’autre.
L’innovation se manifeste également dans les matériaux utilisés. L’enveloppe du bâtiment est composée d’une double couche de tissu enroulable, imprégnée de ciment à faible teneur en carbone, posée sur des coffrages légers. Les unités reposent sur des plateformes perméables faites d’agrégats recyclés et sont reliées entre elles par des panneaux préfabriqués en béton poreux. Un détail particulièrement astucieux est l’intégration d’agrégats luminescents qui absorbent la lumière solaire pendant la journée pour la restituer la nuit, contribuant ainsi à l’efficacité énergétique de l’ensemble. Le projet de Norman Foster combine la rapidité de déploiement des structures préfabriquées, la durabilité des matériaux innovants et l’adaptabilité nécessaire pour répondre aux besoins changeants des populations déplacées.
Vers une approche hybride et participative
Les innovations low-tech et high-tech ont considérablement fait progresser la réflexion sur la réponse de la conception d’habitats face aux crises humanitaires. Si des défis persistent – respect des pratiques culturelles locales, équilibre entre rapidité d’intervention et durabilité environnementale, intégration des structures temporaires dans des solutions permanentes – l’avenir de l’architecture d’urgence semble s’orienter vers une approche hybride, alliant technologies avancées et savoir-faire traditionnels. L’accent se porte de plus en plus sur l’implication des communautés locales, non seulement dans la construction, mais aussi dans la conception des solutions.
Cette évolution vers une architecture participative et adaptative s’avère cruciale face aux défis croissants du changement climatique et des déplacements massifs de population. Dans ce contexte, les innovations architecturales pourraient jouer un rôle clé pour développer des réponses toujours plus adaptées et performantes aux crises humanitaires futures. L’enjeu sera de concevoir des solutions flexibles, culturellement appropriées et écologiquement responsables, capables de répondre aux besoins immédiats.. Sans perdre de vue une vision à long terme des territoires.
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