Bien plus qu’un ensemble d’expositions dédiées à l’art contemporain, la biennale Manifesta poursuit un objectif de recherche à chaque fois qu’elle pose ses bagages dans une grande ville d’Europe. Pour sa treizième édition organisée à Marseille, la manifestation culturelle a donc choisi de tirer le portrait de la deuxième ville de France. Un défi de taille, qu’elle a confié à Winy Maas, cofondateur de l’agence d’architecture MVRDV et directeur de The Why Factory, un institut de recherche de l’université de Delft justement centré sur l’étude des villes et de leur devenir.
Sans prétendre à une analyse exhaustive du carrefour culturel et commercial qu’est Marseille, l’architecte néerlandais et ses équipes se proposent de porter un regard extérieur et objectif sur la cité phocéenne. Dans Le Grand Puzzle, un ouvrage qui compile l’étendue de leurs recherches, ils commencent par énoncer un ensemble de thématiques qui concernent toutes les grandes agglomérations d’aujourd’hui : accessibilité, agriculture, écologie, économie, gouvernance, santé, sociologie… Autant de dimensions ensuite auscultées à l’aune de prismes différents. D’abord des entretiens effectués avec des acteurs locaux aussi variés que possible, d’un historien à une directrice de théâtre en passant par le directeur exécutif de l’Olympique de Marseille ou un agent de maintenance qui travaille au sein d’un grand ensemble de logements sociaux dans les quartiers nord de la ville.
Dans un deuxième temps, une série de cartes, réalisées par des étudiants en architecture et urbanisme de Delft et de Marseille, donne à voir la complexité du territoire en comparaison avec Copenhague, Oslo, Rotterdam, Valence, Naples et Athènes. Uniquement des cités portuaires de taille similaire (environ un million d’habitants). Une façon claire et limpide d’illustrer les principaux enjeux qui touchent la ville, avec des problématiques tels que la pollution, l’enclavement de certains quartiers ou l’influence de l’extrême-droite, mais aussi des qualités non moins importantes, comme la présence de grandes zones naturelles ou la proportion d’artistes parmi la population.
A la manière d’un manifeste, une multitude de projets prospectifs tend également à imaginer le Marseille idéal de demain ; en transformant les docks du port en piscines et installations sportives, en aménageant la digue du port en une plage de 7 kilomètres de long, en créant une infrastructure cyclable à l’échelle de la ville, en verdissant et en piétonnisant le centre-ville, en investissant d’anciennes carrières pour y créer de nouveaux logements ou encore, en construisant un pont de 758 kilomètres pour relier Marseille et Alger. A nouveau pensées par des étudiants, ces propositions, qu’elles soient concrètes ou fantasques, ouvrent de nouvelles perspectives pour le futur de Marseille. Mais au-delà de l’architecture et de l’urbanisme, Le Grand Puzzle va plus loin et ébauche une nouvelle forme de participation citoyenne.
En 2018, l’analyse urbaine n’en est qu’à ses débuts lorsque deux immeubles insalubres de la rue d’Aubagne s’effondrent et causent la mort de huit personnes. Un drame impossible à ignorer pour Winy Maas et l’ensemble de ses collaborateurs, qui décident alors de s’attaquer à la crise du logement qui gangrène la ville. Avant et pendant Manifesta, ils organisent donc une vingtaine d’ateliers réunissant des citoyens de tous bords, de tous âges et de tous les milieux pour leur donner voix au chapitre du futur marseillais. L’objectif ? Aboutir à une « Assemblée de Tous les Possibles » qui regrouperait 101 personnes tirées au sort afin d’influer sur les décisions du maire et du conseil municipal. Une ambition qui sera appelée à être poursuivie par le tissu associatif local et qui, on l’espère, aura peut-être un impact à long terme sur la ville et ses habitants…
> « Manifesta13 Marseille : le Grand Puzzle », Hatje Cantz, 30 €.