Archi-culte : Notre-Dame-de-Victoire, foi bétonnée et histoire ravivée

Construite à Lorient sur ses ruines des bombardements, l’église Notre-Dame-de-Victoire incarne l’ambition du renouveau pour une ville restée traumatisée. Édifiée entre 1953 et 1955 par Jean-Baptiste Hourlier, cette masse de béton sculptée par la lumière offre un témoignage brutal mais poétique de la reconstruction d’après-guerre.

Un passé traumatique enfoui sous des couches de béton et de silence. Lorient est de ces villes martyres qui a connu la tragédie des bombardements lors de la Seconde Guerre mondiale. Devenue terrain de jeu pour les architectes modernistes, la ville se dote en 1955 d’un monument emblématique à plus d’un titre, qui aujourd’hui encore fascine autant qu’il surprend. Érigée place Alsace-Lorraine par Jean-Baptiste Hourlier, architecte en chef adjoint de la reconstruction de la ville, Notre-Dame-de-Victoire est de ces bâtiments qui ne cherchent pas à plaire, mais à s’imposer. Une recette qui fonctionne : difficile d’y rester insensible.


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L’église du renouveau lorientais

Cette église n’est pas qu’un coup d’éclat architectural, il s’agit avant tout d’une démarche sociale visant à rassembler les Lorientais revenus des décombres, manière de tourner la page des années terribles de la guerre. « C’est un élément très symbolique pour la ville, l’un des premiers gestes de reconstruction pour montrer ce à quoi Lorient allait ressembler », explique ainsi Christophe Deutsch-Dumoulin, chef de projet « Ville d’Art et d’Histoire » à la municipalité.

Restée « Saint-Louis » pour les habitants, en référence à l’ancienne église détruite – et peut-être aussi parce que le mot « victoire » a toujours un goût amer pour Lorient, ce nouveau cube de béton armé joue la carte de la sobriété musclée, avec son clocher cruciforme haut de 54 mètres. Il ne s’agit pas moins du point culminant de la ville et d’un point de repère pour les marins au large. Pas de dorures ni de gargouilles, juste du béton, du granit et une certaine idée de la foi bretonne : droite dans ses bottes, sans mysticisme.

Redécouvrir ce patrimoine d’après-guerre

Notre-Dame-de-Victoire, c’est le béton qui élève et la lumière qui danse. C’est un peu brutal, mais sincère et finalement magnifique. À l’intérieur, là la magie (ou le choc) opère. Dans cette architecture néo-byzantine, la lumière filtrée par des vitraux en blocs de verre éclaté – œuvre de Michel Le Guével et Jacques Michel – crée un kaléidoscope de couleurs sur les murs à vif. Surmonté d’une coupole de 21 mètres de diamètre, ce lieu de culte invite à l’humilité… mais d’une drôle de manière : son concepteur assume l’art brut sans fioritures. Chaque coffrage laisse ainsi son empreinte comme une signature, à la manière d’Auguste Perret – dont Jean-Baptiste Hourlier admire le travail – mais en plus radical.

Ce n’est qu’à partir des années 1990 que la ville a commencé à regarder son patrimoine avec un peu plus d’amour. Aujourd’hui, on visite Notre-Dame-de-Victoire comme un morceau d’histoire. Un lieu où béton, granite et lumière s’accordent avec audace. « Le label Ville d’Art et d’Histoire obtenu en 2006 a fait entrer Lorient dans une vraie démarche pour valoriser ce patrimoine, notamment à travers des expositions et des publications », reprend Christophe Deutsch-Dumoulin. Une reconnaissance tardive, presque timide, comme si cette ville reconstruite peinait à trop se regarder dans le miroir. En parallèle l’édifice reçoit le label « Architecture du XXe siècle » qui deviendra par la suite « Architecture Contemporaine Remarquable », première étape vers une reconnaissance nationale.

L’église comme élément d’urbanisme

Petit clin d’œil à ses racines, l’église abrite la statue de Notre-Dame-de-Victoire, œuvre du sculpteur Postel, retrouvée indemne dans les gravats de l’ancienne église Saint-Louis après les bombardements – un miracle pour beaucoup – rappelant aux habitants que l’on peut perdre ses murs, mais pas son âme. Jean-Baptiste Hourlier a fait de cette Madonne un mythe moderne.

Notre-Dame-de-Victoire est de ces bâtiments qui ne cherchent pas à plaire, mais à s’imposer
Notre-Dame-de-Victoire est de ces bâtiments qui ne cherchent pas à plaire, mais à s’imposer HELLOTRAVELE

Ce bâtiment est bien la preuve qu’on pouvait, dans les années 1950, reconstruire une ville à coups de béton sans tomber dans la vulgarité. Lorient, rasée à 95 % par les bombes, a dû tout repenser : ses places, ses rues, ses repères. Et il y a ce petit twist qu’aucun touriste ne remarque : l’église et sa place ont été conçues par le même architecte. « Ce que les visiteurs ne voient jamais c’est l’inscription de l’église dans la place Alsace-Lorraine, Jean-Baptiste Hourlier a fait un parvis pour l’église, comme un élément structurant », conclut notre interlocuteur. Un geste discret, mais essentiel dans un tableau où l’urbanisme se mêle à la spiritualité. Cela vaut le détour, à condition d’accepter que le sacré puisse aussi avoir des angles droits.


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