Visiter la Faïencerie de Gien, en région Centre-Val-de-Loire, c’est à la fois faire un saut dans le passé et entrevoir l’avenir. Son musée, ouvert il y a deux ans dans l’enceinte de la manufacture, scénographié par Mathilde Bretillot et dont la muséographie est signée de l’historienne de l’art Anne-Cécile Sourisseau, est un formidable moyen de comprendre la richesse et la diversité de création de l’entreprise française.
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Gien : de l’art de la table à l’art de vivre
Mais il faut avoir la chance de visiter les greniers, appelés « la salle des moules », au-dessus du site de fabrication, pour se rendre vraiment compte de l’invraisemblable variété de production de cette maison deux fois centenaire. Sur des dizaines d’étagères, les milliers de moules sont autant de témoignages de l’histoire prestigieuse de la faïencerie : plats, vases, médailles décoratives ou commémoratives, portraits, bas-reliefs, mais aussi horloges et autres objets décoratifs…
« Nous conservons quelque 4000 moules et 5000 plaques de cuivre gravées et avons numérisé 8000 planches de 12000 dessins depuis la reprise de l’entreprise par Yves de Talhouët en 2014, indique Nathalie Cesbron, directrice marketing et communication de la Faïencerie de Gien. C’est notre trésor. Gien est un mélange entre des racines, qui sont ce patrimoine historique et nos archives, et des ailes. Celles-ci sont nos connexions créées de longue date avec des artistes, depuis le XIXe siècle jusqu’aux créateurs et designers contemporains, comme Andrée Putman, Paco Rabanne ou, dernièrement, Jean-Charles de Castelbajac, avec “L’Archipel sentimental”. Il s’est d’ailleurs inspiré des assiettes à bordure décorée et des services armoriés qui ont fait notre renommée pour créer sa collection. Il a même utilisé notre bleu de Gien. »
Un pied dans le passé, un autre dans l’avenir, Gien a nommé en octobre dernier une nouvelle directrice artistique, Ève Cazzani, qui a fait ses armes dans la mode (Bonton, Bonpoint, Moismont, Petit Bateau) et dans la décoration. « Tout est déjà là, assure la D.A. Gien n’est pas qu’une marque patrimoniale. Elle dispose d’un savoir-faire incroyable, et il n’est pas question d’en faire un musée. »
Où la directrice artistique entend-elle conduire la marque? « Je mène un important travail sur la couleur, poursuit-elle, mais aussi sur les décors historiques, pour les revisiter, les traiter autrement. J’ai aussi envie de valoriser le peint main. » Mais ce n’est pas tout.
L’ambition d’Yves de Talhouët est de faire de Gien une marque de luxe. Pour cela, Nathalie Cesbron et Ève Cazzani partagent une vision commune: « La Faïencerie de Gien n’a jamais été abîmée et elle possède tous les atouts du luxe: le savoir-faire, la fabrication française, la créativité. Elle est en outre labellisée Entreprise du patrimoine vivant et membre du Comité Colbert, assure la directrice marketing et communication. L’arrivée d’Ève va nous permettre de faire de Gien une marque d’art de vivre et de sortir de l’image réductrice d’enseigne d’arts de la table. En son temps, Gien a fabriqué une grande partie des carrelages et des ornements du métro parisien, mais aussi des vases, des lampes, des accessoires pour la salle de bains… Nous voulons réinvestir de nouveaux territoires, que cela se voie dans nos boutiques et à l’export. »
Un objectif de perfection
La manufacture est évidemment au cœur de cette stratégie. En parcourant les bâtiments qui abritèrent le couvent des Minimes et le balai bien rodé des employés, on constate que la faïencerie a toutes les cartes en main pour revendiquer et affirmer son statut de marque haut de gamme, à commencer par la recette secrète de la pâte de faïence et de la barbotine élaborée en 1830, dont le laboratoire interne garantit la pérennité.
Il veille aussi à l’approvisionnement des matières premières, des couleurs et des émaux… Chaque étape de production est d’une précision parfaite : la création des mères de moule, dans l’atelier de modelage, le coulage des pièces, la triple cuisson, le brossage, puis l’émaillage manuel de chaque pièce, la décoration par chromolithographie, le filage (décor ou filet réalisé à main levée), l’impression, la peinture à la main…
Chacun des 800 000 produits qui sortent chaque année des ateliers est contrôlé et respecte les standards de qualité internes. C’est à ce prix que Gien se hisse depuis deux siècles au rang des grandes maisons françaises.
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