Le textile, le bois, la céramique… ces matériaux associés hier à l’artisanat sont aujourd’hui utilisés par nombre d’artistes contemporains. Nicolas Trembley, critique d’art et commissaire d’exposition indépendant, a sélectionné une part des fruits de ce travail et l’a rassemblée dans le parcours « Art&Craft ». Explications.
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IDEAT : D’où vient selon vous cette appétence pour des pratiques longtemps considérées comme mineures ?
Nicolas Trembley : Elle est maigre. Dans les années 90, on ne voyait pas d’oeuvres en céramique ou textiles dans les foires internationales. Aujourd’hui, c’est dans l’air du temps, mais je ne crois pas qu’il s’agisse d’un effet de mode. Plus sûrement d’une relecture de l’art comme cela arrive de façon cyclique.
On assiste à la reconnaissance de certaines minorités ou de certains groupes, comme les femmes, dont les oeuvres ne réunissaient pas divers critères et étaient donc exclues de l’histoire moderne. Je pense particulièrement aux pionnières, les actrices du Bauhaus qui ne pouvaient pas faire de peinture, car elles étaient cantonnées à la céramique ou au textile.
L’histoire de l’art, jusqu’ici assez cloisonnée, s’ouvre désormais à des pratiques différentes. C’est pareil dans le monde de la vidéo, dont je suis issu. Aujourd’hui, là aussi, on revient à des techniques artisanales.
IDEAT : Si le regard sur ces oeuvres évolue, pourquoi les prix ne suivent-ils pas la même tendance?
Nicolas Trembley : Depuis quelque temps, on remarque que le marché intègre ces nouvelles propositions. Si l’on prend l’exemple du couple de céramistes Jacqueline et Jean Lerat, leur oeuvre n’est certes pas récente, mais elle n’a pas encore été très bien comprise par les acteurs du monde de l’art contemporain.
J’espère que ce focus « Art&Craft » va permettre aux non-initiés de les redécouvrir. J’ai tenu à y inclure des créateurs historiques pour que le public de la foire parisienne réalise que ces pratiques s’ancrent bien dans l’histoire de l’art et qu’il suffit de regarder pour constater leur lien avec les nouvelles générations et leur intérêt pour ces médiums. Et si le marché ne reflète pas pour l’instant cette tendance, ces créateurs sont aussi revalorisés aujourd’hui par le biais de la déco ou, plutôt, du design.
IDEAT : La question de savoir qui fait est-elle pertinente ?
Nicolas Trembley : Pour moi, ce n’est pas un critère. La patte de l’artisan, la technicité, n’a pas de valeur suprême. Si un pot est mal tourné mais sublime, il m’intéresse autant que s’il était parfaitement réalisé. Cette frontière relève des politiques culturelles. En France, il y a eu les arts décoratifs et les beaux-arts.
D’un côté les architectes, les designers ; de l’autre, les peintres, les sculpteurs. Même si en 2024 ces divisions ont disparu, il faudra des décennies avant que le travail de jeunes céramistes soit visible en salle des ventes. Et puis, en France, la question du nom ou de la signature est primordiale.
J’ai voulu faire une donation de céramiques au MAD de Paris, qui a été refusée, car les objets n’étaient pas signés. Or, on peut trouver de la beauté partout. C’est ce que j’aime dans le mouvement Mingei, créé au Japon dans les années 1920 : il valorise aussi bien une cuillère formée par un artisan anonyme que par quelqu’un de connu.
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