Quand ils se rendaient aux journées portes ouvertes des écoles d’art avec leur fils, les parents d’Anthony Guerrée préparaient à leur insu l’avenir d’Habitat. Et, par ricochet, rien moins que la décoration de milliers de foyers, souvent urbains, qui vont intégrer chez eux des produits dessinés par ce fils qui anime depuis avril 2021 le studio de création de l’enseigne en pensant « lisible, fonctionnel et abordable ».
Un aboutissement
Son parcours ? À 23 ans, issu de l’école Boulle, le jeune homme collabore avec le studio d’Andrée Putman, dirigé alors par la fille de l’architecte d’intérieur, Olivia Putman. Cinq ans plus tard, il arrive au studio de Christophe Delcourt où il reste à nouveau cinq années. La bonne idée, c’est d’avoir continué à développer ses propres projets, notamment la collection « Les assises du temps perdu », des sièges incarnant les héros de Marcel Proust, suite à sa lecture pour le moins immersive.
Après ses années au service de Delcourt Collection, en 2020, Anthony Guerrée fonde son propre studio. Pas question de faire moins bien. Récemment, pour M éditions, les objets et le mobilier en marbre que le designer exposait à la maison La Roche, construite par Le Corbusier, étonnaient, d’autant qu’ils provenaient de chutes de marbre.
Le directeur (2021) du studio de design d’Habitat se révèle à l’écoute, affûté, affichant une assurance justifiée. « Grâce à Habitat, c’est la première fois que je travaille sur des produits que ma famille, mes amis et moi pouvons nous offrir. C’est assez fascinant de penser qu’ils peuvent se retrouver dans le salon de gens que je connais », avoue-t-il avec honnêteté. À le voir évoluer discrètement, on se dit qu’il a désormais fini d’émerger.
C’est grâce au succès de la chaise Odette – inspirée d’un personnage de l’auteur à la madeleine – qu’il a été repéré par des membres de la direction d’Habitat (dont Rémi Poirson, directeur marketing et communication) pour faire « des choses justes », dit-il, comme son nouveau fauteuil Up aux angles arrondis et dont la forme s’inscrit dans un cylindre. Celui-ci est couplé à un pouf-repose-pied qui se range sous l’assise, lui donnant une seconde esthétique. Pour le sofa Alberto, il a pensé aux confidents.
Avec son dossier bas, ce canapé droit comme recouvert d’une couette cousue est aussi confortable qu’un vieux Chesterfield où l’on se cale pour converser à deux. Un deuxième canapé, Umberto, se compose de modules : des chauffeuses et des méridiennes à assembler. C’est rassurant, aimable, convivial et malin. L’assise Delta ressemble, elle, à un trait de crayon, lequel définit la ligne de ses contours. D’autres produits suivront, de février à juin, pour le printemps et l’été, et d’août à octobre, pour l’hiver.
Qualité, innovation et disruption
La première fois qu’Anthony Guerrée a franchi la porte du studio de design d’Habitat, il avait déjà moult dessins dans ses cartons. Par trois fois, le designer parlera de « challenge créatif » pour lui et pour l’équipe du studio. À ses côtés, Floriane Jacques, graphiste, styliste et illustratrice, crée par exemple des motifs. Une fonction essentielle quand on sait combien ils sont, avec la couleur, des éléments distinctifs et stratégiques chez l’éditeur grand public. Au studio, chacun s’exprime sur tous les produits.
Anthony Guerrée, qui se fait fort d’adapter les règles du design haut de gamme à l’échelle d’Habitat, peut, passant au-dessus d’une épaule, dire : « Arrête-toi là, c’est super. » Et chaque membre du studio signe ses produits. Habitat attend ainsi qualité, innovation et même disruption.
« C’est plus compliqué, mais c’est enthousiasmant pour un designer, analyse Anthony Guerrée. Il ne s’agit pas de faire de tout, car Habitat, c’est une sélection. Le studio analyse les évolutions de la société et celles du marché, les nouveaux besoins. » « La mission du directeur de création est de maintenir Habitat dans la tête des urbains, sans nostalgie », précise encore le designer volontaire, qui souhaite « remettre la fonction au cœur de la marque ».
À lui de se replonger dans son ADN désirable, accessible et lisible, en restant sur « une ligne de crête », gardant toujours son expressivité. En 2023, pas un grain de maniérisme chez Habitat.