Face à un design très globalisé en Europe de l’ouest, la Carwan Gallery, née à Beyrouth et actuellement installée à Athènes, offre un regard neuf en présentant les jeunes esprits créatifs du sud-est de la Méditerranée. Rencontre avec son co-fondateur Nicolas Bellavance Lecompte.
Milan. Fin des années 2000. Nicolas Bellavance Lecompte, jeune Canadien venu étudier l’architecture en Italie et les arts visuels à Berlin, freine temporairement ses envies nomades pour se lancer dans le secteur du design, dans la capitale lombarde. «Je me suis alors rendu compte qu’il manquait quelque chose, une réalité plus importante que je ne voyais pas ailleurs. Tout ce qui était lié au design de collection, ce pont entre l’art contemporain et le design, voire l’architecture d’une certaine manière. Cet espace qui relie le design pragmatique à l’art contemporain plus lyrique m’attirait beaucoup ». L’idée d’une galerie germe rapidement, mais Nicolas Bellavance Lecompte ne souhaitait pas «l’ouvrir à Milan, même si j’y étais basé. Je voulais une plateforme qui allait ouvrir de nouveaux horizons, de nouveaux voyages, de nouveaux panoramas culturels ».
C’est au Liban, à Beyrouth, avec l’architecte Pascale Wakim que la Carwan Gallery est fondée en 2010. « Nous étions la première galerie à faire du «design art contemporain » dans la région » affirme-t-il. « Notre objectif était d’être une plateforme entre l’Orient et le reste du monde. Nous avons invité des designers d’un peu partout à travailler avec des artisans locaux, créer des projets spéciaux. Et inversement, nous demandions à des designers libanais ou de la région de concevoir des projets spéciaux que l’on allait montrer sur la scène internationale en Afrique du Sud, à New York, à Paris ou Milan et Londres » Le Canadien souligne aussi les conditions favorables à une telle entreprise au début des années 2010. « Le Liban a connu un essor économique et le retour des cerveaux, des créateurs qui voulaient revenir au pays. C’était un moment d’effervescence créative générale et sociale. »
Un projet pilote
Sans fausse modestie, il ajoute : « Notre projet était un projet pilote pour le Proche-Orient. Nous avons établi une scène, nous avons mis Beyrouth sur la carte comme destination des capitales du design pendant une décennie. Suite à notre ouverture, deux ans plus tard, deux autres galeries design ont ouvert leurs portes et plein de designers ont cherché à revenir s’installer au Liban. On a vraiment généré un nouvel écosystème design dans la région, comme nous sommes actuellement en train de le faire à Athènes. »
En 2019, face à la situation économique et politique complexe que connaît le Liban, la Carwan Gallery quitte le Pays du Cèdre et trouve en Quentin Moyse, architecte installé à Athènes, un nouvel associé.
« Voilà deux ans que nous sommes à Athènes, où il y a une très grande attention portée au marché d’art fonctionnel ». Le galeriste souligne aussi cette nouvelle excitation culturelle autour de la Grèce et de sa capitale, dans laquelle il retrouve le Berlin des années 2000. «Des designers hellènes reviennent vivre à Athènes. Il s’agit d’une génération très jeune qui revient après une expérience à l’étranger, après les dix ans de crise qu’a connu ce pays qui était dans le gouffre. »
Un concept fort
Alors que faire pour entrer dans l’écurie Carwan, quand on est un jeune créateur, et ainsi profiter de ce « launching pad (plateforme de lancement en français, ndlr) pour des nouveaux talents », comme l’évoque son créateur ? « Nous cherchons du design fonctionnel, mais aussi unique dans sa technique d’assemblage, de production, et avec un concept très fort », précise Nicolas Bellavance Lecompte.
Un concept fort, comme celui de Polina Mililou, designeuse anciennement installée à Los Angeles et revenue au pays. « Elle a créé tout une collection inspirée par la sculpture cycladique, très primitive, avec des formes qui représentent la féminité méditerranéenne, très sensuelle, et en même temps avec un côté ludique qui évoque l’univers des cartoons ». A ne pas manquer non plus, les créations de Rooms Studio « deux créatrices qui viennent de Georgie, et font un travail exceptionnel, dans l’autoproduction, dans la recherche de matériaux, de langage culturel ». Leur prochaine exposition, qui débutera le 28 octobre 2022, cherchera à faire un trait d’union entre la Géorgie et la Grèce qui, malgré la distance kilométrique, ont des cultures orthodoxes très proches.
Quelle sera la prochaine destination pour cette galerie ? «Impossible de le prévoir ! Nous sommes nés au Liban et nous poursuivons en Grèce. Mais si nous sommes bien à Athènes, le futur reste ouvert et nous n’excluons pas d’ouvrir ailleurs dans le monde. Une place forte comme Paris ou Londres pourrait être intéressante afin de porter des designers du sud est de la Méditerranée vers de nouveaux marchés. »
Un nomadisme qui pourrait donc surprendre mais rien n’est dû au hasard, le nom «Carwan» est issu d’un terme perse et arabe qui n’est autre que la racine du mot caravansérail.
> Carwan Gallery, Polidefkous 39, Le Pirée, Grèce. Plus d’infos sur le site de la galerie.